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Bienvenu à le livre, L'Intoxication Par Le Tabac (1913), par Le Dr Abel Gy. Pour aller à la table des matières immédiatement, cliquetez ici. |
Depuis de longues années, l'attention des médecins a été attirée sur les désordres que provoquait, dans l'économie, l'abus du tabac. Chaque jour ce mode d'intoxication déjà ancien, commun à toutes les classes de la Société, se répand de plus en plus et l'on s'explique ainsi les discussions soulevées encore tout récemment dans plusieurs sociétés savantes. Tout d'abord les vieux cliniciens avaient insisté sur les troubles dyspeptiques et cardiaques imputables à l'usage du tabac. Puis les médecins des Manufactures de l'Etat voulurent démontrer que les diverses manipulations nécessitées par la fabrication du produit, n'étaient pas elles-mêmes sans offrir quelques dangers pour le personnel des établissements. L'expérimentation permit alors de réaliser, chez l'animal, un empoisonnement un peu différent de ce qu'il est chez l'homme, mais qui n'en présente pas moins beaucoup d'intérêt et, des études contemporaines, il paraît résulter que le tabac est susceptible d'entraîner des désordres dans la plupart des organes. Dans ces dernières années, son pouvoir leucoplagène, l'étiologie du cancer dit des fumeurs, ont été l'objet de grands débats à l'Académie de médecine. Plus récemment, des travaux entrepris à Paris, à Lyon, à Toulouse et à Nancy, ont essayé d'établir le rôle exact du toxique dans la pathogénie de l'athérome aortique; M. Guillain et nous, avons été amenés, à la faveur de recherches de cet ordre, à fixer l'importance que prenait le tabac en pathologie humaine. Les caractères de là plante (nicotiana tabacum), la préparation du tabac, sont bien connus et ne nous retiendront pas. Le lecteur désireux de compléter son instruction à ce sujet trouvera dans les dictionnaires classiques et dans différents mémoires (1), tous les renseignements désirables.
MORIS: article «Tabac» in Nouv. Dict. de méd. et de chim. pratiques; JAUCENT [Henri]: Le tabac, étude historique et pathologique, th. Paris, 1900; Poisons industriels, office du travail, ministère du Commerce, de l'Industrie, des Postes et Télégraphes, 1901; PELLET: Les Effets du tabac sur l'organisme, th. Montpellier, 1897; LAURENT [Emile, 1861-1904]: Le nicotinisme [étude de psychologie pathologique] [Paris: Société d'éditions scientifiques], 1893; CHÉREAU: Sur quelques cas d'aphasie transitoire chez les fumeurs, th. Paris, 1894; AMOUROUX: Etude expérimentale sur l'atherome tabagique, th. Toulouse, 1906; PRIEUR: Le tabac et l'appareil vasculaire, th. Paris, 1905. Le but de cet ouvrage est d'exposer les multiples retentissements que peut avoir sur l'économie l'usage prolongé du tabac. En nous appuyant sur les résultats fournis par l'expérimentation, nous avons d'abord précisé la nature de l'intoxication et nous avons décrit les divers types de l'empoisonnement aigu. La seconde partie de ce livre a été consacrée au tabagisme chronique, avec toutes les réactions organiques qu'il peut provoquer. Nous avons de la sorle passé successivement en revue l'influence que le toxique exerçait sur le tube digestif, sur les appareils respiratoire, génito-urinaire, circulatoire, sur le névraxe et sur les sens, en insistant particulièrement sur l'étiologie du cancer de la langue, sur l'athérome aortique et sur les désordres nerveux d'origine tabagique. L'opinion que le tabac a par lui-même un pouvoir microbicide, nous a poussé à rédiger un chapitre spécial où des recherches personnelles ont été publiées. Enfin les dangers du tabac ayant engagé des chimistes à fabriquer des produits analogues, mais qui seraient dépourvus de toute toxicité, nous avons tenté d'établir quel degré de confiance on pouvait avoir dans les tabacs dénicotinisés. LA TOXÏCITÉ DU TABAC Depuis la découverte de la nicotine par Vauquelin, en 1809, de nombreuses analyses de tabac ont été faites et aujourd'hui dans le nicotiana tabacum, on trouve grosso modo: Diverses bases: ammoniaque, potasse, chaux, lithine, oxyde de manganèse, oxyde de fer, magnésie; Quelques matières minérales et parmi elles, la silice; Des acides minéraux: sulfurique, chlorhydrique, phosphorique, azotique; Des corps neutres organiques: résine jaune, résine verte, cire ou graisse, nicotianine; Enfin un alcaloïde volatil: la nicotine. Celle-ci est en quantité variable suivant la provenance du tabac; selon Schlœsing
(1), pour 1 000 grammes de feuilles sèches:
Déplus, la proportion de l'alcaloïde augmente à mesure que la plante vieillit. Par contre, elle diminue notablement quand on étudie le tabac tel qu'il est livré au consommateur (2 à 2, 5 °/o), en raison de la fermentation qu'il a subie. Dans ces conditions, le tabac à priser contient 2,04 °/o de nicotine, le cigare de cinq centimes 1,5 à 2 °/o, le cigare de quinze centimes 2,07 °/o. Des travaux divers ont démontré depuis longtemps combien grande était la nocivité de cette substance. Il est classique de comparer sa toxicité à celle de l'acide cyanhydrique ou de l'aconitine. Pour Orfila, deux gouttes de nicotine pure occasionnent la mort d'un chien de taille moyenne. Au reste, d'une façon générale, les mammifères sont très sensibles à l'action du poison, exception faite toutefois pour les chèvres qui, suivant Bordier (1), ingéreraient impunément des feuilles de tabac. D'après Roger (2) sept milligrammes d'une solution à o,o5 °/o sont nécessaires par voie vei-
(2) ROGER in BOUCHARD. — Path. gèn., I, 886. neuse pour tuer un kilogramme de lapin. Cette dose serait insuffisante pour Parenty et rasset (1), qui indiquent 20 ou 21 milligrammes; selon Lewin et Pouchet (2), il faut un quart de goutte pour faire périr une grenouille, une à deux gouttes pour le chien; pour Vibert (3), un sixième de goutte pour le lapin et le chat, une demie à deux gouttes pour le chien. Enfin Leblanc relève huit gouttes comme dose mortelle pour le cheval. Les écarts de chiffres fournis par ces expérimentateurs dépendent vraisemblablement du genre d'intoxication. Planas (4) a bien montré combien différente était la rapidité d'absorption du poison suivant le mode d'introduction choisi; administrée par le rectum et mise au contact de la conjonctive, la nicotine apparaît foudroyante; il en serait de même par la voie trachéale (Guinier). En revanche, quand l'injection est faite dans le tissu cellulaire souscutanée, les accidents surviennent plus lentement. Le même désaccord se rencontre chez l'homme; on a coutume de fixer à une goutte
(2) LEWIN et FOUCHET. — Toxicologie. (3) VIBERT. — Précis de toxicologie. (4) PLANAS. — Diagnostic de l'empoisonnement médico-légal par le tabac, th. Montpellier, 1891. de l'alcaloïde la dose qui terrasse un adulte. Or, Dwarjak et Heinrich, qui ont eu le courage d'expérimenter sur eux-mêmes, ont supportè un et même trois milligrammes de nicotine. Une observation personnelle de Le Bon (1) plaide dans le même sens; cet auteur a pu recevoir sur la langue une goutte de poison et ne présenter que
Ces résultats, en contradiction avec les données classiques, tiennent sans doute au défaut de pureté de la nicotine. Les faits rapportés ci-dessus remontent, en effet, à 1869 et à 1872. Désireux d'établir la nocivité exacte de l'alcaloïde, nous avons, avec M. Guillain, pris une certaine quantité de nicotine du commerce, improprement appelée nicotine pure que M. Lecoq a bien voulu purifier selon la méthode de Schlœsing. La toxicité de ce corps a été la suivante: un agitateur trempé dans cette préparation fut placé dans la gueule de trois chats du poids de 55o, 58o et 52o grammes; les trois animaux succombèrent en un quart de minute. Une souris blanche, un moineau qui avaient reçu sur la conjonctive une gouttelette de l'alcaloïde, furent foudroyés. En revanche, un cobaye du poids de 535 grammes, qui avait reçu, dans la
bouche, une goutte de la même substance résista sans même souffrir de convulsions et ne ressentit qu'une dyspnée extrême durant cinq minutes. Contrairement au fait cité par Cl. Bernard (1), un autre cobaye du poids de 525 grammes, qui reçut dans l'œil droit une goutte de nicotine, eut, après une demi-minute, une crise violente de dyspnée, mais ne succomba pas; l'œil apparut brûlé comme par un puissant caustique. A fortiori, des solutions à 1/100, à 1/1 000 et à 1/10 000 ont-elles été inactives. Il résulte de ces expériences que la nicotine dont la toxicité serait, pour Schlœsing, égale à celle do la conine, est très grande, mais semble toutefois avoir été quelque peu exagérée, sinon pour les petits animaux, du moins pour ceux de forte taille. Au reste, d'après de nombreux auteurs modernes, les dangers du tabac dépendent moins de la nicotine que d'autres corps auxquels la combustion de la plante donne naissance. Bien plus, selon Vohl et Eulenburg, la nicotine ferait défaut dans la fumée de tabac; en réalité, sa présence y est constante, mais en minime quantité. Les travaux des chimistes contemporains ont permis de déceler dans le tabac l'existence de substances jadis insoupçonnées: l'acide
prussique (Le Bon), la thiotétrapyridine et l'isodipyridine (Vulpian) (1), dernièrement, la nicotéine, la nicotelline, la nicotinine (Pictet (2) et Rotschi, Hatt), enfin une base très volatile d'odeur ammoniacale que, plus tard, Pictet et Court ont identifiée avec la pyroline. D'après Veyrassat (3), la nicotéine, en particulier, aurait sensiblement les mêmes effets que la nicotine en les accentuant encore. Guidé par ses recherches, Le Bon (4) attribua surtout la nocivité du tabac à la collidine dont un vingtième de goutte suffit pour faire périr en quelques moments une grenouille.
La céphalalgie, les nausées et les vomissements qui témoignent de l'intoxication passagère chez le fumeur novice seraient, pour cet auteur, commandés par l'acide prussique renfermé dans le tabac à la dose de trois à huit ____________________________________
(2) PICTET. — Recherches sur les alcaloïdes du tabac. Bull. Soc. Chim. de Paris, XXXV, 3e série; Mémoires, 1906, p. i. (3) VEYBASSAT. — Archiv. des Soc. phys. et nat., 4, t. XII, p. 220. (4) LE BON. — Sur l'existence dans la fumée du tabac de notables proportions d'acide pruasique et sur l'existence d'un nouvel alcaloïde. Journ. thérap., nos 15, 16, 17, 18. août-septembre 1880. milligrammes pour cent. Même opinion de Vohl et Eulenburg. Hugounenq incrimine principalement la collidine. Trillat (1) fait jouer un certain rôle à la présence de formol dans la fumée, corps qui diminuerait la nocivité de la nicotine en se combinant avec elle, ce qu'ont confirmé depuis Droit (2) et Jeantet. Pour Gréhant, W. Dudley (3), Jacoby, tous les accidents d'origine tabagique résulteraient d'un empoisonnement lent par l'oxyde de carbone. Gréhant s'appuie en pareil cas sur la coloration rutilante que prend le sang du chien asphyxié par la fumée de tabac, coloration rappelant celle du sang oxycarboné. Pommerol, Wikulill se rangent à la même idée sans apporter de preuves. Wahl (4), Toth (5), Marcelet (6), Fleig ont essayé de vérifier l'exactitude de cette hypothèse.
(2) DROIT. — Contribution à l'étude de la nicotine et de ses dérivés aldéhydiques; th. Paris, 1907. (3) W. DUDLEY. — Les effets toxiques de la fumée de cigarette, Med News, 15 sept. 1888, p. 187. (4) WAHL. Ueber den Gehalt des Tabakraches an Kohlenoxyd; Archiv. für die Gesammte Physiologie, LXXXVIII, 262, 286, 1899. (5) TOTH. — L'oxyde de carbone dans la fumée de tabac; Chemiker Zeitung, XXXI, p. 98. (6) MARCELET. — Sur le dosage de l'oxyde de carbone dans les fumées de tabac; th. de pharmacie, Montpellier, 1907. Wahl admet bien l'existence de l'oxyde de carbone à raison de 1,3 % à 2,2 % pour le tabac, de 2,9 à 4 °/o pour le cigare. La fumée rejetée par le fumeur en renferme encore 0,6 à 0,7 % pour le tabac, 1 à 1,3% pour le cigare. Mais pour rendre l'atmosphère d'une pièce de 64 mètres cubes mortelle, il ne faudrait pas consommer moins de 600 cigares! Toth en utilisant le procédé d'Armand Gautier a noté que 10 grammes de tabac brûlant lentement produisaient un à trois centimètres cubes d'oxyde de carbone; il ajoute que le tabac donne lieu à un dégagement d'oxyde de carbone plus grand quand il est sec. Marcelet qui a fait de cette question le sujet de sa thèse de doctorat en pharmacie arrive aux conclusions suivantes:
Tout dernièrement, Fleig (1) a combattu cette manière de voir. Pratiquement, pour lui, la faible quantité d'oxyde de carbone mise en liberté par la fumée ne saurait avoir une grande importance dans la pathogénie du tabagisme. De ces divers travaux résulte, pour nous, en ne considérant que les fumeurs et en laissant de côté les priseurs et les chiqueurs, proportionnellement beaucoup plus rares, que la toxicité du tabac n'est pas une; elle dépend de toutes les substances renfermées dans la fumée, c'est-à-dire la nicotine, l'acide prussique, la méthylamine, la collidine, des bases pyridiques, de l'ammoniaque, tous poisons plus ou moins actifs auxquels il faut adjoindre l'oxyde de carbone. La variabilité de l'empoisonnement s'explique par le choix de l'espèce de tabac mise en expérience, car la teneur de ce produit en nicotine est bien différente suivant son lieu d'origine, l'époque de là récoite, la préparation qu'il a subie. L'opinion que les tabacs d'Orient sont naturellement pauvres en nicotine, est aujourd'hui reconnue fausse; de plus, dans la composition de certains d'entre eux entre de l'opium.
Malgré qu'avec M. Lecoq, nous n'ayons pu déceler de la morphine dans un échantillon de ce tabac, des renseignements ultérieurs à ce travail de laboratoire permettent, en effet, d'affirmer que des fabricants arrosent leur marchandise d'une décoction de pavot. Dans le but d'établir la toxicité du tabac en totalité, sous forme de macération, M. Guillain et nous, avons tenté de provoquer la mort immédiate de lapins adultes par des injections intra-cérébrales de macération fraîche à 10 %; nos animaux présentèrent tous des accès de dyspnée extrêmement violents, des convulsions toniques et cloniques, mais ne succombèrent pas. Par voie veineuse, deux centimètres cubes d'une macération de tabac scaferlati à 20 %, furent nécessaires pour tuer un lapin de 1 500 grammes. La différence qui existe entre nos chiffres et ceux que rapportent Adam et Lesage précédemment à nos expériences (un quart de centimètre cube par voie veineuse pour un kilogramme de lapin) tient à l'emploi de produits très dissemblables, car ils utilisèrent du jus de tabac. Dans des recherches postérieures aux noires, en effet, Lesieur (1) qui étudiait comparativement la toxicité du scaferlati ordinaire et des
tabacs désintoxiqués est arrivé à des résultats analogues aux nôtres en se servant de la même macération au môme taux par la même voie. Selon lui, grosso modo, il faut un gramme de macération pour tuer un kilogramme de lapin. Le tabac est donc loin d'avoir la puissance meurtrière de la nicotine. Un fait permit de s'en rendre compte aisément: deux moineaux de poids identique reçurent dans le bec l'un une goutte de nicotine pure, l'autre une goutte de macération de tabac ordinaire à 20 %. Le premier oiseau tomba foudroyé; le second vola encore un quart de minute, puis poussa des cris, s'arrêta et se renversa lentement en arrière en proie à une dyspnée violente qui ne dura que deux minutes. Fait important: la dose qui tue l'animal doit être injectée d'emblée; dans le cas contraire, l'animal survivant tolère les jours suivants une quantité double de la dose mortelle. Nous avons pu très souvent constater cette accoutumance rapide au poison, déjà signalée par Tpaube, Rosenthal, Anrep (1), plus récemment par Edmunds à propos de la nicotine. Le sérum des animaux intoxiqués n'a toutefois, par
lui-même, aucune propriété antitoxique. Un lapin qui avait eu 203 injections sous-cutanées d'un centimètre cube d'une dissolution aqueuse de fumée de tabac caporal ordinaire à 20 % fut saigné à blanc; son sérum recueilli fut divisé en deux parts: L'accoutumance au poison qui, du reste, est très variable selon l'espèce, réside moins dans la constitution d'antitoxines que dans une ap- titude particulière mal connue que l'organisme a contractée à se défendre contre le toxique ou plulôt d le tolérer. Ainsi que le disent Fleig et de Visme dans leur réponse à M. Pachon qui contestait la valeur de leurs expériences:
Un seul de nos lapins présenta un léger degré d'anaphylaxie contrairement aux faits observés par Gebrowsky. Cet auteur fut dans l'impossibilité de faire supporter l'extrait de fumée (1)
Nous n'insisterons pas sur les injections de nicotine (Josué, Adler et Hensel, Papadia) qui ont le désavantage de ne considérer qu'un côté de la question en n'utilisant qu'un seul poison. Baylac et Amoureux, Boveri, ont fait des macérations et des infusions de tabac. Pour obtenir les premières, ils jetaient 10 ou 20 grammes de scaferlati ordinaire dans 100 grammes d'eau bouillante. Les macérations étaient préparées en abandonnant, pendant 24 heuies, à la température de 370, 10 ou 20 grammes de tabac dans 100 grammes d'eau. Les liquides étaient filtres et injectés par voie veineuse (à la dose de 1/2 à 2 centimètres cubes), par voie sous-cutanée (à raison de 2 à 4 centimètres cubes), par voie œsophagienne (10 a 40 centimètres cubes). Gouget, Lesueur, Guillain et Gy se sont ralliés à cette méthode. à ses animaux et se vit contraint de diminuer la quantité de liquide injecté à mesure que se prolongeaient ses expériences. ____________________________________ Lœper et Boveri ont administré à leurs animaux des pilules de 1gr,50 de tabac. Le gros défaut de cette technique est de ne répondre guère a l'intoxication telle qu'elle se rencontre chez l'homme (les priseurs et les chiqueurs étant mis à part). Pour obvier à cet, inconvénient, Guillain et Gy, Gebrowsky, FIeig et de Visme ont produit une dissolution de fumée on eau de fumée en faisant barboter, à l'aide d'une trompe à eau, la fumée de 10 ou 20 grammes de tabac dans 100 grammes d'un liquide quelconque (eau distillée, sérum artificiel) qu'il suffisait ensuite de filtrer. Malgré l'amélioration qu'offre cette méthode sur la précédente, elle est encore passible d'objections: certains éléments renfermés dans la fumée sont volatiles, insolubles dans l'eau. Il suffit, en effet, d'interposer entre la trompe à eau et le récipient d'autres ballons contenant chacun des substances différentes (alcool, éther, glycérine) pour capter ainsi des corps, qui autrement échappent; de plus, le réglage de l'aspirateur est quelque peu délicat et, en général, la combustion du tabac s'effectue avec rapidité; or, la lenteur avec laquelle le tabac brûle est une condition essentielle a la formation d'oxyde de carbone, gaz auquel plusieurs auteurs font jouer un si grand rôle dans la pathogénie du tabagisme. Pour éviter ces erreurs, M. Guillain et nous, avons utilisé les insufflations de fumée sous la peau des animaux. Malheureusement cette technique ne peut être employée que chez les souris et les rats. En dernière analyse, c'est le séjour de l'animal dans une atmosphère de fumée qui a retenu notre attention. Cette méthode était de pratique facile et a donné de bons résultats; elle peut être rapprochée des conditions dans lesquelles se montre l'intoxication tabagique chez l'homme. INTOXICATION AIGUË L'empoisonnement aigu par le tabac fut jadis fort commun du XVIe au XIXe siècles; les médecins employaient en effet couramment la «nicotiane», encore appelée herbe à la reine, angoulmoisine, herbe du prieur, etc., et la regardaient comme une sorte de panacée. Ils ordonnaient son usage dans les affections les plus disparates: le tétanos (Anderson, Jackson), l'empoisonnement par la strychnine (Haughton), l'épilepsie (Page), la névralgie, certaines paralysies (Zwinger, Fischer, Pavesi), la hernie étranglée, la colique de plomb, l'helminthiase, la constipation, la dysenterie, la coqueluche, les épistaxis, les hémoptysies, l'asphyxie, notamment l'asphyxie par submersion, l'asthme, la rétention d'urine (Fowler), l'obésité, la goutte (Hénard), les inflammations de la trompe d'Eustache, etc. Devant les terribles accidents ainsi occasionnés, celte fâcheuse médication est aujour- d'hui heureusement tombée en désuétude, sauf dans quelques campagnes reculées où elle est encore en honneur. Dans les temps modernes, l'intoxication sous sa forme aiguë est devenue beaucoup plus rare et ne se voit plus guère qu'à la suite d'une tentative de suicide, d'un pari stupide ou lors d'un crime comme dans la célèbre affaire de Bocarmé. Encore s'agissait-il, en ce cas, d'un empoisonnement par la nicotine. Bien que dernièrement Torresi (1) ait sans dommage administré en lavement à un malade atteint de paralysie intestinale une infusion de 25 grammes de feuilles de tabac dans un litre d'eau, la plupart des toxicologues estiment qu'une moins grande quantité de tabac peut provoquer la mort. Les chiffres qu'ils donnent, au reste, varient d'un auteur à l'autre. Pour Ogier (2), une infusion de 15 à 30 grammes prise par le rectum amènerait un dénouement fatal a brève échéance; Richardière (3), avec quelques réserves, cite comme mortelle 30 à 40 grammes de tabac, quel que soit le mode d'in-
(2) OGIER. — Traité de chimie toxicologique. (3) BOUCHARD et BRISSAUD. — Grand Traité Méd., III, 2e éd., article Tabagisme. troduction du poison, Lewin et Pouchet (1) signalent, en moyenne, a grammes de tabac à priser, 30 grammes de tabac à fumer, mais relatent des cas de mort après ingestion de 2 grammes de tabac de pipe. Ces différences tiennent au genre de préparation, à la composition du type de tabac mis en cause et, lors d'expérimentation, à l'espèce animale. De hardis physiologistes, Dwarzak et Heinrich (2) n'ont pas hésité à étudier sur eux-mêmes [1891] les effets de la nicotine à la dose d'un milligramme, puis de 1/32 et de 1/44 de grain pris dans un drachme d'eau distillée. Ils ressentirent d'abord sur la langue une brûlure et une sensation de gratiement dans le pharynx. Avec une plus grande quantité de toxique, cette impression de «brosse rude», selon leur comparaison, s'étendit à l'œsophage et à l'estomac. Ils furent pris de céphalalgie, de somnolence, d'élourdissemenis; leur vue se troubla et l'ouïe s'affaiblit. La respiration fut de plus en plus gênée et bientôt même survinrent des crises de suffocation. Leur face pâlit, leurs mains et leurs pieds se refroidirent et leur corps fut secoué de violents frissons. Quarante minutes après le début de l'expérience, les deux médecins furent en-
(2) PLANAS, loc. cit. vahis par une lassitude extrême; leur ventre se ballonna et de nombreux gaz furent émis par l'anus en même temps que se montrait une miction copieuse. L'un des sujets souffrit au commencement de vomissements fort pénibles et tout son corps fut agité d'un tremblement très rapide. Chez l'autre individu, l'asthénie fut surtout le phénomène dominant, ainsi que la dyspnée. Quand la phase aiguë des accidents se fut écoulée, tous deux se plaignirent d'un profond sentiment d'anéantissement, de lourdeur de tête; l'appétit était nul et leur démarche très mal assurée. Après une nuit réparatrice, les symptômes s'effacèrent, mais leur peau se dessécha et, fait curieux, le tabac fut ultérieurement, pour ces deux hommes, l'objet de la plus vive répulsion.
Cette description se rapproche sensiblement du tableau que tracent Planas, Wurtz, Richardière de l'empoisonnement aigu par la nicotine. Ce sont des brûlures dans l'arrière-gorge, des crampes au niveau de l'épigastre, de la diarrhée, de la pelitesse et de l'irrégularité du pouls, du tremblement, des lipothymies, quelquefois des convulsions faisant place vers la fin à des paralysies. Lorsque la mort arrive dans le cas d'intoxication nicotinique, l'autopsie ne révèle aucune lésion spéciale, mais la recherche de l'alcaloïde par la célèbre méthode de Stas est d'autant plus facile que le poison est un agent antiputride de premier ordre (Melsens) comme le tabac (Ch. Robin). Cliniquement, l'intoxication suraiguë par le tabac passe par deux phases, une première où les troubles digestifs ouvrent la scène, la seconde où ils s'effacent pour être remplacés par des accidents nerveux. Très rapidement, après l'empoîsonnement, le sujet accuse un sentiment de constriction, de brûlure occupant le pharynx, l'œsophage et l'estomac; l'épigastre est sensible. Au bout d'un quart d'heure apparaissent des vomissements qui se répètent, très copieux et qu'accompagnent d'abondantes selles diarrhéiques. L'abdomen météorisé est le siège de violentes douleurs. Déjà, à cette période, le patient ne peut rester tranquille; il souffre d'une céphalalgie extrêmement vive et se plaint de vertiges; sa face est d'une grande pâleur et ses yeux dont les pupilles, a ce moment, sont contractées, expriment l'anxiété. Bientôt le tableau morbide change; les phénomènes digestifs s'atténuent. A l'agitation du début, succède un état de stupeur qui augmente de plus en plus, coupé néanmoins, en certains cas, de crises de tremblement, de convulsions cloniques et toniques. Les pupilles se dilatant, la respiration se ralentit, le pouls, jupqu'ici vibrant, hypertendu, s'affaiblit et le malade dont le corps est couvert de sueurs, succombe en un laps de temps qui varie d'un quart d'heure à douze ou vingt-quatre heures. En pareille circonstance, comme nous l'avons établi dans un travail récent, la mort arrive par suite de phénomènes bulbaires commandés eux-mêmes par une excitation des centres corticaux, ces phénomènes bulbaires engendrant à leur tour des troubles cardio-vasculaires et respiratoires. L'empoisonnement aigu par le tabac, comporte à peu près la même symptomatologie que la forme suraiguë, avec cette particularité que les désordres digestifs l'emportent sur les accidents nerveux. Ici ces derniers se résument à une céphalée gravative, à des vertiges et à une impression de froid; l'intelligence demeure intacte. Après quelques heures, le sujet est terrassé par un sommeil profond d'où il sort brisé de fatigue, incapable d'effort intellectuel quelconque, en raison d'une violente migraine. Durant plusieurs mois, asthénie psychiquement et physiquement, dégoûté à tout jamais du tabac (Tardieu), il mènera une vie languissante, maladive par suite de la persistance de troubles gastro-intestinaux rebelles à toule thérapeutique. Ces faits sont aujourd'hui rares; on n'observe plus guère, à notre époque, que la forme légère de l'intoxication tabagique aiguë, dont le type nous est fourni par le fumeur novice lors de sa première cigarette ou de sa première pipe. Il ressent d'abord une fausse envie d'aller à la selle; son pouls est dur et tendu puis s'accélère; quelquefois même, on constate quelques faux pas du cœur. Le visage pâlit et se couvre de sueurs froides, ainsi que les mains; les oreilles bourdonnent; la vue se trouble et une céphalalgie frontale accable le patient qui se plaint, en outre, d'un état nauséeux et même peut rejeter son dernier repas. Après cet incident, tout se calme, mais, pendant le reste de la journée, la tête demeure lourde et toute occupation intellectuelle est impossible. Cette courte esquisse de l'intoxication passagère par le tabac est quelque peu schématique; en réalité, chaque sujet a une manière spéciale de réagir au poison ; certains éprouvent des accidents gastro-intestinaux, en particulier, une violente diarrhée; d'autres accusent une gêne de la respiration qui, chez les névropathes, peut aller jusqu'à la suffocation. Les mêmes différences se retrouvent quand les débutants renouvellent leur tentative de fumer. Chez les uns, tous les symptômes notés plus haut, réapparaissent mais seulement ébauchés; chez d'autres, au cou- traire, bien loin de s'amender, ils revêtent une intensité beaucoup plus grande. Quelques privilégiés enfin tolèrent bien d'emblée l'intoxication et s'y sont adaptés. A cet égard, il est impossible de donner une description d'ensemble intéressant tous les cas qui peuvent se rencontrer dans la pratique. Plusieurs médecins des manufacturer de tabac ont rapporté des faits analogues survenant chez des ouvriers récemment admis dans les établissements de l'État, lorsqu'ils changent le tabac de case, car, dans ces conditions, se dégagent des vapeurs toxiques dues à la fermentation. Il convient d'ajouter que ces accidents, bien décrits jadis par Francis Jacques (1), sont rares aujourd'hui, en raison des progrès de l'hygiène industrielle. Il est difficile de tracer une description exacte de l'intoxication tabagique chronique chez l'homme. Bien souvent, les accidents imputés au nicotinisme sont, en fait, d'origine complexe; l'individu subit l'influence d'un autre poison, de l'alcool, de l'absinthe, de la morphine, du
plomb, etc.; il a souffert ou souffre encore d'infections multiples, tantôt latentes, tantôt avérées. Tous ces facteurs ne sont pas sans jouer un certain rôle dans la genèse des lésions observées. De plus, chacun de nous réalise son intoxication suivant, sa manière propre; il réagit différemment en raison de son hérédité, de ses occupations et aussi du mode d'empoisonnement, de la quantité de poison introduite dans l'économie. Tel grand fumeur issu d'arthritiques, présentera des phénomènes d'angor pectoris; tel autre, ancien syphilitique, aura de l'athérome aortique; tel autre enfin, né de parents névropathes, victime lui-même de surmenage intellectuel, se plaindra surtout d'amnésie, d'aphasie, etc. Ces exemples nous démontrent combien il est délicat, étant donné un symptôme constaté chez un fumeur, d'attribuer uniquement sa cause à l'abus du tabac; ce n'est que par une analyse minutieuse des phénomènes relevés chez le patient qu'on arrivera à établir la part exacte du poison. ACTION DU TABAC
Les quelques considérations exposées ci-dessus se retrouvent ici: dans nombre de circonstances, les troubles digestifs mis sur le compte du tabac sont, en réalité, d'une pathogénie difficile à élucider. Le fumeur alcoolique, par exemple, se plaint fréquemment de digestions pénibles et il est malaisé d'établir le rôle respectif que joue le tabac et l'alcool dans l'éclosion de la dyspepsie. Un autre sujet, ancien syphilitique, alcoolique et fumeur invétéré, présente au niveau des commissures labiales des plaques de leucoplasie; il est pour ainsi dire impossible de fixer alors quelle influence exacte ont eu d'un côté, la vérole et, de Vautre, les deux poisons. Enfin, le mode d'intoxication lui-même est loin d'être négligeable; selon que le tabac est prisé, chiqué ou fumé, non seulement les substances introduites dans l'organisme diffèrent, mais encore leur pouvoir de diffusion dans l'économie varie dans d'énormes proportions. Le tabac réduit en poudre impalpable ne provoque guère que de minimes altérations de la muqueuse nasale; le tabac chiqué qui, apparemment, devrait être fort nocif, donne parfois lieu à des désordres rentrant dans le cadre de l'intoxication aiguë passagère ; mais, en dehors de ces cas peu communs, il occasionne simplement des poussées de stomatite n'offrant aucun caractère spécial. Ce fait joint à la constatation de la rareté de plus en plus marquée des chiqueurs et des priseurs nous engage à porter toute notre attention sur les accidents habituels aux fumeurs. Nous ne ferons que signaler les méfaits courants du tabac en ce point de l'économie, la carie dentaire, bien que niée quant à cette origine par Hepburn (1), la stomatite catarrhale, la stomatite aphteuse. Ces incidents, bien connus de tous, ne comportent par eux mêmes aucune gravité et ne doivent pas nous arrêter. Beaucoup plus intéressant est le rôle si discuté du poison
dans l'apparition du cancer des lèvres et dans la production des plaques de leucoplasie si souvent sujettes à la dégénérescence épithëliale. Un homme de quarante à cinquante ans est porteur depuis un certain temps d' «un bouton» rebelle, en général sur la lèvre inférieure. C'est tantôt une hypertrophie papil taire plus ou moins limitée, tantôt une sorte de verrue indurée qui s'ulcère sans cesse, tantôt encore c'est\ une fissure dont les bords se durcissent. Plus rarement, le malade présentait depuis plusieurs mois, à la face interne des lèvres, une plaque laiteuse qui sera étudiée plus loin en détails et c'est cette plaque qui est le point de départ de l'épithélioma. Les conditions dans lesquelles le néoplasme apparaît sont d'ordre banal; mais, parmi elles, on a voulu faire une place toute spéciale à l'usage de la cigarette ou de la pipe. Divers arguments et divers faits sont apportés à l'appui de celte thèse. Le cancroïde labial est fort rare chez la femme, ce qui tiendrait à sa non-habitude du tabac. Herbert Barclay cite, à ce propos, l'histoire d'une montagnarde fumant avec excès et contractant une néoplasie de la lèvre (Morestin) (1). Pour Bouisson, la fréquence de plus en plus
grande du cancer de la lèvre, qu'il dénomme d'une manière expressive
est due à l'extension même du tabagisme; même opinion de J. Roux, de Leroy d'Etiolles père, plus récemment de Cortyl. Beaucoup d'auteurs, Vulpian, Malgaignie, Bardeleben, Bruns ne se sont pas rangés à cette façon de voir. D'après eux, si la femme ne présente qu'exceptionnellement un carcinus labial, le fait ne tient pas à la non-consommation du tabac, car les Bretonnes, les négresses (Morestin), ont constamment à la bouche la courte pipe connue sous le nom imagé de «brûle-gueule» et n'offrent aucune trace de dégénérescence épithéliale au niveau de la muqueuse buccale (Lemarchant et Morvan). Pour Fleury, il n'y a aucun rapport entre le développement du cancroïde labial et la coutume de plus en plus répandue de fumer. En ces circonstances, le tabac agit soit directement par l'action irritante de produits volatils renfermés dans la fumée, soit, beaucoup plus souvent, indirectement par les traumatismes incessamment rejetés que cause le port habituel d'un corps étranger aux lèvres. Placés constamment au même endroit, la pipe, le fume-cigare ou le fume-cigarette déterminent localement des altérations purement histologiques des tissus, susceptibles de donner lieu à la longue à des érosions persistantes. Dans certains cas encore, les effets du tabac sont plus éloignés: l'usage continu de la pipe use les dents, les rend pointues au point qu'elles érodent les tissus (Earle, Rigal, de Gaillac), favorise enfin puissamment l'éclosion de productions syphilitiques ou parasyphilitiques au premier rang desquelles il faut placer la leucoplasie, toutes lésions pouvant se cancériser, comme l'ont vu à maintes reprises Bruns, Lewin (1), Reverdin et Mayor (2), à la suite des travaux de Verneuil et de ses élèves Noël et Ozenne (3), confirmés depuis par Lang, Wheeler et Steiner. La question de la leucoplasie buccale et linguale prête aux mêmes discussions. Très souvent, le fumeur présente à la face interne des lèvres et des joues, principalement au niveau des commissures, des plaques nacrées. Ces plaques, qu'on peut retrouver ça et là à la partie moyenne et antérieure du dos de la langue, sont parfois très discrètes et se montrent sous forme de simples taches ardoisées. Fréquemment, à ce stade initial, succède une plaque dure et saillante, de surface tantôt lisse, tantôt plissée, chagrinée,
(2) REVERDIN et MAYOR. — Rev. méd. de la Suisse Romande, 1885, p. 732. (3) NOËL. — Th. Paris, 1878, n° 56. qui persistera indéfiniment ou se reproduira sans cesse si on la traite, enfin et plus souvent, subira la dégénérescence épithéliale, constituant ainsi l'ancien
L'étude des conditions dans lesquelles apparaît la leucoplasie, sa nature intime, ont donné lieu encore récemment à de grands débats à l'Académie de Médecine. La plupart des médecins de l'hôpital Saint-Louis n'hésitent pas à rattacher la leucoplasie à la syphilis. C'est, pour Fournier, un accident parasyphilitique; dans la statistique qu'il rapporte, sur 324 cas de leucoplasie buccale, 109 concernaient des syphilitiques. Gaucher et Lacapère font de la plaque une lésion toujours de nature syphilitique, thèse déjà soutenue en 1890 au Congrès de Londres par Kaposi. Suivant Gaucher et Lacapère, la plaque dite des fumeurs ne serait autre qu'une plaque muqueuse persistante, enflammée chroniquement par le contact de l'alcool et surtout l'usage du tabac. Milian (1) se rattache à cette opinion; contre l'existence d'une leucoplasie idiopathique, il invoque toute une série d'arguments: l'étroite ressemblance qui existe entre révolution lente, tenace, de la syphilis linguale et celle de la
leucoplasie; les mêmes localisations des deux affections; la puissance leucoplagène énorme du tréponème; la fréquence des antécédents spécifiques chez les porteurs de leucoplasie dite idiopathique, fréquence qui s'élève à 80 % des cas d'après lui; les érosions elles-mêmes, les fissures secondaires a la desquamation de la plaque, sont non des ulcérations banales, mais des ulcérations de cause syphilitique et guérissent par le traitement hydrargyrique. Le tabac n'a aucun pouvoir leucoplagène,
La même opinion a été soutenue en 1906 à l'Académie de Médecine par Poirier (1) et par Fournier (2). Le professeur Landouzy (3) émet le même avis sans aucune réserve.
____________________________________ (1) POIRER. — La thérapeutique du cancer de la langue. Acad. méd., 30 oct. 1906. (2) FOURNIES. — La thérapeutique du cancer de la langue, Acad méd., 27 nov. 1906. (3) LANDOUZY. — Valeur sêméiologique des leucoplasies jugales et commissurales, dites plaques des fumeurs. Pr. Méd., 27 juin 1908, p. 409.
Fort de cette manière de voir, le professeur Landouzy a pu, en l'absence de tout autre stigmate, dépister la spécificité chez sept hommes n'ayant jamais fumé, et partant, instituer avec succès le traitement mercuriel. Dans une autre petite statistique, quinze syphilitiques, à savoir neuf hommes et six femmes, présentaient tous de la leucoplasie, atténuée chez les femmes, très nette chez les hommes, presque tous fumeurs. Tous les cliniciens n'admettent pas la nature syphilitique de toutes les leucoplasies. Du Castal, M. Balzer, tout en reconnaissant que la plupart des plaques laiteuses ont cette origine, conçoivent cependant, en dehors de la syphilis, la possibilité de leucoplasie développée à la suite d'irritations banales. Il y aurait, en d'autres termes, une leucoplasie idiopathique, opposable à la leucoplasie syphilitique; la première leucokératose, beaucoup plus rare, beaucoup plus fruste peut-être dans ses manifestations, serait provoquée par des irritations de la muqueuse linguale et buccale au premier rang desquelles il faudrait placer le tabac. Cliniquement, aucune différence ne sépare les deux types de leucoplasie. Le fait que la leucoplasie nicotinique
n'est nullement caractéristique puisqu'il se base sur l'évolution même de la leucoplasie pour affirmer sa nature. Barthélémy, tout en admettant l'influence prépondérante de la syphilis dans la genèse de la leucokératose, relate néanmoins quatre observations où la plaque laiteuse se montra chez les sujets indemnes de toute syphilis et qui la contractèrent ultérieurement. Une autre observation de M. Castaigne vient appuyer cette opinion: un malade atteint d'un chancre induré de la verge présentait, en même temps, une leucoplasie buccale ancienne; plusieurs jours après, des plaques muqueuses qui survinrent confirmèrent la nature syphilitique du chancre.
Ce cas, des plus instructifs, semble bien prouver que le tréponème n'est pas fatalement à l'origine de toutes les plaques laiteuses. De cette discussion résultent, en définitive, deux conceptions touchant la pathogénie du cancer de la langue. Etant donné que cet épithélioma a, le plus souvent, pour point de départ, une plaque de leucoplasie, fait admis par tous, les uns, avec Poirier, le Prof. Fournier, le Prof. Gaucher, affirment la nature syphilitique de toute leucoplasie et concluent que le cancer de la langue est l'apanage du syphilitique. En pareilles circonstances, la syphilis est tout le primum moyens, le tabac n'agit que comme
et ne joue guère le rôle que de simple cause occasionnelle.
D'autres auteurs, tout en ne niant pas l'origine syphilitique de beaucoup de plaques nacrées, admettent indirectement et implicitement, par cela même qu'ils reconnaissent au tabac seul un pouvoir leucoplagène, la possibilité d'un
néoplasme de la langue né en dehors de toute syphilis et font, dès lors, une place beaucoup plus importante au tabac dans l'étiologie de l'épithélioma. Les statistiques apportées par le Prof. Fournier (1) à l'Académie de Médecine sont en faveur de la première thèse: sur 184 cancéreux buccaux, on ne relevait aucun antécédent syphilitique que dans 29 cas; huit de ces observations concernaient des femmes, fait qui s'explique naturellement par la non-consommation du tabac.
Il existe de même, quoique plus rarement mais non moins incontestablement, des individus ayant un cancer de la langue ou des lèvres et qui ne sont nullement syphilitiques. Bien qu'il faille toujours songer à une syphilis
méconnue, le fait n'en est pas moins certain. Malheureusement, il est impossible actuellement d'appuyer cette opinion de statistiques. Les chiffres fournis par les thèses concernant le néoplasme des fumeurs sont anciens, les observations en sont incomplètes et ne mentionnent pas, en général, si l'individu qui fait le sujet de la relation était ou non syphilitique. Suivant nous, l'immense majorité des cancers de la langue se montre bien souvent chez des syphilitiques; autrement dit, la leucoplasie est presque toujours d'origine syphilitique, mais il ne faut pas rejeter complètement l'existence d'une leucoplasie buccale idiopatbique causée par divers irritants et la transformation cancéreuse de ces plaques répond aux cas négatifs des statistiques récentes où la syphilis était absente. Dans ces circonstances, l'importance étiologique du tabac s'affirme sans cependant être prédominante; sa valeur pathogénique, simple cause occasionnelle dans le cas où le sujet cancéreux était spécifique, augmente dans les cas négatifs. Il ne faut toutefois voir en lui qu'un des moyens propres à éveiller chez le prédisposé le cancer. Le nombre énorme de fumeurs qui parviennent à un âge avancé sans présenter de dégénérescence épithéliale vient à l'appui de cette opinion. Sans parler de diathèse ni d'hérédité, il y a, à n'en pas douter, chez cer- taines personnes, des conditions particulières renfermées dans la structure des tissus et leur mode de réparation qui les rend plus aptes à devenir cancéreux. Il existe, chez ces sujets, des réactions spéciales aux irritants, qui font que les éléments anatomiques ont, chez eux, une tendance marquée à subir la transformation cancéreuse; le moindre choc, la plus légère altération chimique ou physique, surtout si elle se répète, déclanche le processus néoplasique. [Plus en anglais]. Tous les individus adonnés au tabac sous une forme quelconque ont la coutume, le chiqueur de placer sa «chique» en un point toujours le même, du vestibule de la bouche, le fumeur de placer sa cigarette ou le tuyau de sa pipe constamment à l'une des commissures labiales de préférence à l'autre. La preuve en est donnée par l'examen de la bouche de certaines gens dont les dents d'un côté sont pour ainsi dire limées au contact répété du tuyau de leur pipe. La plupart de ces sujets ne ressentent aucun dommage de cette habitude. D'autres, au contraire, en raison d'une prédisposition dont l'origine nous échappe, à la faveur de brûlures, de contusions multiples de la muqueuse, par suite de l'action irritante de la fumée, voient peu à peu se développer un cancer. En ces circonstances, le tabac joue le rôle d'une cause occasionnelle banale, comme l'arsenic dans la genèse du cancer dit arsenical (Hutchinson) où des dermatoses deviennent néoplasiques après application de pâte arsenicale. De même nature est le cancer professionnel des personnes traumatisant journellement leurs téguments en une région déterminée (cancer des ramoneurs, des paraffîneurs, des goudronneurs, etc.) dont Volkmann, Hamilton, Geissier et Rollet, etc., ont rapporté des observations multiples. Helperich relate l'histoire d'un cancer développé à la suite du port d'un dentier; un malade de Kronacher, pêcheur de son métier, avait l'habitude de passer le fil goudronné de ses filets dans sa bouche; ultérieurement, il fut atteint d'un cancer des lèvres. Beaucoup plus frappant est l'exempte qui est donné par le néoplasme greffé sur une ulcération dentaire; une dent cariée ou cassée a déterminé d'abord une érosion de la langue; l'irritation persistante amène finalement la production d'un papillome qui dégénère en cancer. Un dernier argument peut encore être invoqué qui vient démontrer le rôle banal mais réel du tabac. Les femmes d'Extrême-Orient, notamment les Hindoues et les Ceylanaises sont souvent victimes d'un cancer de la bouche oues, langue, gencives, etc.). Bien qu'on doive faire quelques réserves touchant la possibilité de syphilis si commune en ces régions, le fait tient à leur habitude de chiquer perpétuellement, quelquefois du tabac, mais surtout du bétel, de la noix d'arec, de la terre même. Consécutivement, il est fréquent de voir un épithélioma se développer au point où repose la chique durant le sommeil. En revanche, les femmes Turques, les Égyptiennes, les Marocaines, etc., sont moins communément affectées de cancer de la bouche (Thomas) (1). Peut-être cette exception tient-elle uniquement à la consommation de cigarettes faites de tabac doux qui irrite moins les muqueuses et les impressionne, peut-on dire, a distance, contrairement à la chique. En résumé, il nous paraît que le rôle du tabac dans la genèse du cancer, jadis notablement exagéré, ne doit pas être rejeté, mais il convient de faire rentrer le poison dans le cadre des causes occasionnelles au même titre que les irritations produites sur une muqueuse d'une façon lente et prolongée par un agent chimique ou physique quelconque. Ainsi que le dit M. Borrel, l'étiologie du cancer ne saurait être, en effet, univoque; souvent, le tabac agit d'une manière très indirecte: ces cas concernent le syphilitique de vieille date; sous l'influence du
tabac, cet individu fait une poussée leucoplastique et, ultérieurement, l'une des plaques laiteuses subit la dégénérescence épithéliale. Beaucoup plus rarement, la syphilis est absente; le tabac provoque le développement d'une leucoplasie qui se transforme plus tard en épithélioma; quelquefois même, exceptionnellement il est vrai, la phase leucoplasique fait défaut; l'irritation causée par le tabac amène directement l'éclosion du cancer. Dans tous ces faits, le tabac n'a qu'un rôle occasionnel; il ne sert qu'à faire naître le cancer chez un prédisposé. Quand le cancer évolue, son extension est naturellement favorisée par l'usage du labac. En dehors des accidents pharyngés que peut causer l'abus du tabac: pharyngite granuleuse, pharyngite catarrhale chronique aboutissant plus tard à la pharyngite atrophique, du hoquet et de l'œsophagisme tabagiques (Huchard) (1), beaucoup plus rares, le poison provoque très fréquemment des troubles digestifs. La dyspepsie qui en résulte se montre surtout chez les individus qui se livrent à leur passion
sion dès le matin à jeun ou chez ceux qui déglutissent la fumée (Kohos) (1). Joue encore un rôle l'habitude de cracher, car le sujet rejette ainsi une certaine quantité de salive nécessaire à la digestion des féculents. Expérimentalement Schultz, en mettant au contact d'une solution faible de nicotine un estomac isolé conservé dans un liquide physiologique, a déterminé les contractions atypiques du viscère. Tout dernièrement, Max Skaller injectant de l'eau de fumée à sept chiens a provoqué une hypersécrétion qu'il pouvait facilement constater, car ses animaux étaient porteurs de petits estomacs selon la méthode de Pawlow. Ces recherches sont en contradiction avec les résultats qu'observa sur lui-même Cramer (2) à la suite d'abus de cigares, car il souffrit d'une insuffisance motrice de l'estomac des plus nettes. Pour ce qui est de l'influence du toxique sur la sécrétion gastrique, elle semble la diminuer. Pouchkine a bien remarqué que le suc gastriqut était alors plus abondant, mais son degré d'acidité était abaissé et la quantité d'acide chlorhydrique était plus petite que normalement. Fa-
(2) CRAMER. — L'influence de la nicotine du café et du thé sur la digestion; Munch. Méd. wochens., 7 mai 1907. varger (1) a déterminé de l'anorexie chez des chiens qu'il nicotinisait, Calcaterra (2) a pu atténuer les effets d'une solution de pepsine ou de suc gastrique en ies soumettant à de la fumée de tabac.
M. Guillain et nous, avons trouvé, chez des lapins auxquels nous faisions ingérer depuis six mois des macérations de scaferlati, des lésions de gastrite atrophique. Cliniquement, les symptômes de dyspepsie accusés par le grand fumeur sont ceux de l'hyposthènie avec hypochlorhydrie du Prof. A. Robin (3) ou insuffisance motrice avec hypochlorhydrie de Soupault qui, souvent, se complique de fermentations. L'appétit est trèscapricieux, quelquefois plus apparent que réel (fausse faim); fréquemment, il fait complètement défaut; dans une statistique établie par Jankau et portant sur 200 fumeurs, 132 se plaignaient d'anorexie totale. La langue est saburrale; après les repas se montrent de la lassitude, de la somnolence, une sensation de pesanteur abdominale qu'accompagnent des
(2) CALCATERRA — Action de la fumée et du suc de tabac sur la salive et le suc gastrique; XVIIIe Congr. Soc. ital. de méd interne, octobre 1908. (3) A. ROBIN. — Les maladies de l'estomac; 2e édit., 1904. éructations, des bouffées de chaleur et des baillements. A l'examen, l'estomac apparaît distendu et, sion administre au patient un repas d'épreuve, on note une digestion excellente des féculents; par contre, l'acide chlorhydrique libre est absent ou remarquablement diminué. Gramer a relevé, chez de vieux chiqueurs, une achlorhydrie absolue. La dyspepsie tabagique ne comporte pas toujours une description aussi riche; elle est quelquefois latente, et toute l'attention des médecins est attirée sur des vertiges ou des crises d'angine de poitrine qui peuvent prêter à des erreurs diagnostiques et qui, en realité, sont commandés par la présence de fermentations gastriques. De ces quelques considérations découle la nécessité de supprimer le tabac chez tout dyspeptique. En revanche, chez un sujet sain, son usage modéré sera autorisé après les repas, car, à petites doses, le toxique accélère la digestion des albuminoïdes (Cramer) et, en excitant la sécrétion salivaire, favorise, d'une manière réflexe, celle du pancréas (A. Robin). La diarrhée constitue l'une des premières manifestations de l'intolérance de l'organisme vis-à-vis du tabac. Dans le domaine de l'expérimentation, elle se montre assez rarement chez le cobaye, mais elle est, pour ainsi dire, de règle chez le lapin, quel que soit le mode d'intoxication adopté, qu'il s'agisse de macération ou de dissolution aqueuse de fumée et que ces préparations soient introduites par voie veineuse ou par voie sous-cutanée. Seule, la méthode de gavages ne donne lieu à aucun désordre intestinal (Gouget; Guillain et Gy). Cette exception mise à part, la diarrhée se voit à une date très variable, tantôt dès le premier jour des injections, — son pronostic est alors sombre, — tantôt elle ne survient que dans la seconde semaine et d'une manière intermittente. En ces circonstances, Guinier pense à un trouble sécrétoire, à une hyperactivité glandulaire occasionnée par le poison; Aubert incline pour l'exagération du péristaltisme intestinal; encore l'irritation de la fibre musculaire lisse ne se ferait-elle qu'indirectement par l'intermédiaire des filets terminaux des pneumogastriques, comme tend à le prouver une expérience de Kobert. Il est probable que le tabac porte ses effets autant sur la muqueuse que sur la musculature du tractus digestif. Chez l'homme, la diarrhée d'origine tabàgique se rencontre surtout parmi les ouvriers récemment admis dans les manufactures de l'État (Pla) (1), ainsi que chez les fumeurs no-
vices. En dehors de ces cas, un séjour quelque peu prolongé dans une salle enfumée peut déterminer chez des prédisposés le rejet de deux à trois selles liquides (Cramer, Gy). Tous ces faits sont à proprement parler le témoignage d'une intoxication aiguë passagère; l'individu adonné au poison n'offe aucun de ces troubles. Au reste, cette action du tabac a été depuis longtemps utilisée comme remédiant à la constipation. Trousseau (1), dans ses Cliniques, insistait sur les bons effets retirés en ces circonstances de l'usage d'une cigarette fumée à jeun et, plus récemment, Soupault notait à nouveau le pouvoir laxatif qu'a le cigare chez beaucoup de personnes. 1. Gland es salivaires. — Les avis sont très partagés touchant l'influence qu'exerce le tabac sur la sécrétion salivaire. Expérimentalement, Guinier a signalé la salivation intense que présente l'animal victime d'une intoxication aiguë par la nicotine. Ce fait que nous avons été à même de constater à maintes reprises, vient à l'appui de l'action excito-sécrétoire qu'aurait le tabac d'après Landau. Par contre, Heidenbain, Langendorff refusent au poison toute propriété de
cette nature; bien plus, selon eux, le tabac imbiberait la sécrétion salivaire. Il résulte de recherches personnelles que les résultats contradictoires auxquels sont arrivés les physiologistes tiennent essentiellement à la quantité variable de poison utilisée. En général, et comme l'a confirmé dernièrement Calcaterra (1), le tabac semble n'avoir que peu d'effet sur les propriétés saccharifiantes de la salive. Toutefois, la nicotine pure a une action nettement inhibitrice, action qui cesse dès que l'alcaloïde est quelque peu dilué. Pour ce qui est de la macération de tabac, en petite quantité, elle exagère très légèrement le pouvoir saccharifiant, à hautes doses, elle l'entrave. Cette question nécessite néanmoins de nouvelles expériences car le pouvoir amylolytique d'une salive est spécial à chaque individu. D'autre part, un ancien travail de M. le Prof. A. Robin (2) et les communications plus récentes de Froin (3), de Roger (4), ont établi
(2) A. ROBIN. — Étude physiologique et. thérapeutique sur le jaborandi. Journ. de thérapeut., 1874-75. (3) FROIN. — Action de la salive sur la sécrétion et la digestion gastriques. C. R., Soc. Biol., 1907, I, p. 80. (4) ROGER. — Action du suc gastrique sur la salive. C. R., Soc. Biol., 1907, I, p. 1022; ROGER et SIMON. — Action synergique de la salive et du suc pancréatique. C. R., Soc. Biol., 1907, I, p. 1070. l'étroite synergie existant entre les glandes salivaires et le pancréas et l'on aurait ainsi l'explication de troubles gastro-intestinaux et de la difficulté d'assimilation si souvent relevés chez le fumeur. 2. Foie. — L'atteinte du foie au cours de l'intoxication tabagique expérimentale a été démontrée par beaucoup d'auteurs, en particulier par Schiff, Lautenbach, Roger et plus récemment par Graziani, Adler et Hensel (1) Gouget (2) etc. Si l'empoisonnement aigu par le tabac provoque toujours chez l'animal (lapin, cobaye, souris) de la dégénérescence graisseuse et des hémorrhagies disséminées dans le parenchyme glandulaire, les altérations changent de nature quand l'intoxication a été poursuivie d'une manière lente et progressive (Gouget, Guillain et Gy) (3). Une sclérose jeune, abondante en cellules, puis une sclérose adulte, riche en fibres
(2) GOUGET. — Sur quelques lésions de l'intoxication tabagique expérimentale. Pr. Méd., 22 août 1906, no 67, p. 533. (3) GUILLAIN et GY. — Les lésions hépatiques dans l'intoxication tabagique expérimentale. Soc. Biol., 21 nov. 1908. se forme, rayonnant de l'espace porte où elle affecte également la veine, le canalicule et l'artériole pour envahir les fentes de Kiernan; les néo-canalicules biliaires ne sont pas rares. A la longue se constitue ainsi une véritable cirrhose annulaire périlobulaire ayant tendance à pénétrer dans le lobule lui-même. Le parenchyme subit de profondes modifications structurales. A la dégénérescence granuleuse atrophique de la cellule avec lésion du noyau, altération précoce si bien étudiée par Noël Fiessinger (1) dans l'histogénèse de la cirrhose, succède ultérieurement la dégénérescence vacuolaire avec piknose du noyau on caryolyse ou de la dégénérescence graisseuse. Chez l'animal intoxiqué depuis plusieurs mois survient enfin, fréquemment, dans les derniers jours qui précèdent la mort, des hémorrhagies intra-parenchymateuses qui bouleversent l'ordination des travées glandulaires, indice d'un processus aigu greffé sur la glande chroniquement altérée. Cliniquement, il n'est pas douteux que le foie du grand fumeur ne soit plus ou moins touché, vu le rôle antitoxique de la glande. Malheureusement, l'homme est loin de présenter les conditions d'observation réalisées chez l'animal. Depuis sa naissance, il a été, bien avant même
de se livrer à l'abus du tabac, soumis à de multiples infections, a des empoisonnements variés connus et inconnus qui ont déjà troublé le foie dans ses fonctions et parfois y ont déterminé de minimes lésions. Il est hors de conteste que le tabac agissant a la façon d'un poison lent, contribue à modifier le travail hépatique sans qu'on puisse en donner une preuve absolue. Dernièrement, Stern (1) a bien insisté sur l'existence d'une glycosurie alimentaire provoquée par l'abus de la cigarette, mais on ne saurait suivre cet auteur quand, dans une hypothèse hardie, il attribue à des excès tabagiques certains diabètes. [Plus, diabètes en anglais].
ACTION DU TABAC
I. APPAREIL RESPIRATOIRE L'appareil respiratoire entre tous doit, a priori, être intéressé dans l'intoxication tabagique. Son altération relève dans l'immense majorité des cas de l'habitude de fumer, mais il y a toutefois lieu de réserver une place à l'empoisonnement qui survient chez les individus séjournant dans les salles des Manufactures de tabacs de l'État (Pla) (1). Nous ne nous étendrons pas sur les troubles qui apparaissent chez le priseur. Quoique le tabac réduit en poudre soit riche en nicotine, il est, dans ces conditions, peu nocif; la muqueuse natale d'un rouge vif est simplement gonflée; quelquefois se produit un écou-
lement muqueux ou muco-purulent très tenace, tous accidents bénins rencontrés également, bien qu'à un degré moindre, chez le fumeur qui rejette la fumée par le nez. Les troubles laryngés résultent, comme l'a démontré Mulhall (1), de l'irritation agréable de la muqueuse des voies aériennes supérieures par le tabac. Habituellement, cette irritation n'est marquée que par de la fatigue rapide de la voix, de l'enrouement tantôt passager, surtout le matin, tantôt permanent. Souvent un effort de toux, un raclement ramène des mucosités grisâtres visqueuses épaisses (Decroix (2), Lévy). Dans d'autres circonstances, le sujet se plaint d'une espèce de hemmage très rebelle (Péter, Jules Guérin). Ces signes sont l'indice de diverses laryngites rangées par les laryngologistes en type catarrhal, érosif et hypertrophique, toutes lésions susceptibles de s'aggraver brusquement à la suite de nouveaux excès. Plus que tout autre individu, le fumeur enfin localise sur son larynx l'infection syphilitique et la tuberculose. On ne saurait toutefois généraliser ces faits à toutes les personnes adonnées au tabac, car certaines d'entre elles, comme
(2) DECROIX. — Étude sur l'usage du tabac dans l'armée. Mulhall en rapporte des observations, peuvent se livrer impunément à l'abus du tabac sans que leur larynx en souffre. L'action du poison sur les poumons est évidente. Sans parler de pneumokoniose (Iovanovitch) (1) et d'emphysème (Blatin) qui seraient causés par le nicotinisme (?), l'intoxication est surtout remarquable par les modifications qu'elle occasionne touchant la fréquence des mouvements respiratoires, mais ici les auteurs diffèrent. Alorsque beaucoup ont décrit une dyspnée tabagique, une asthme tabagique, d'autres cliniciens ont noté les heureux effets qu'exerçait le tabac sur les crises d'asthme. Trousseau lui-même, dans ses Çliniques, dit, en cette occurence, avoir été soulagé par l'usage d'un cigare. La contradiction qui existe entre ces deux ordres de faits tient uniquement à la plus ou moins grande quantité de poison introduite dans l'économie; à petites doses, et ce point est d'accord avec les règles thérapeutiques établies par Hahnemann, le tabac provoque une respiration plus ample et plus rapide par excitation des pneumogastriques (Claude Bernard). En revanche, à hautes doses, le tabac, après une excitation passagère, détermine une paralysie des
centres respiratoires du bulbe, comme l'ont prouvé les expériences de Roger, de Fleig et de Visme (1). D'où une dyspnée sine materia qui pourrait aller jusqu'au cheyne-stokes (Huchard) (2). Ordinairement, l'oppression ne revêt pas cette intensité et tout l'accès de dyspnée se résume en une crise d'asthme de tous points analogue à l'asthme vulgaire (Fonssard) (3). Ce pseudo-asthme nicotinique se montre principalement le soir, alors que l'individu a consommé de nombreux cigares ou cigarettes (Péter, Jacquemart); il ne comporte aucune gravité et disparaît dès que le sujet renonce à fumer (Russo-Giliberti) (4). Le rôle microbicide de la fumée de tabac (que nous étudierons plus loin en détails) a fait l'objet de grandes discussions. Cette opinion,
ID. — Action de la fumée de tabac sur les phénomènes respiratoires et vaso-moteurs; injection d'extraits liquides de fumée et insufflations de fumée en nature. C. R. Soc. Biol., 13 décembre 1907. ID. — Mécanisme des effets respiratoires de la fumée de tabac. C. R. Soc. Biol., 3 février 1908. (3) FONSSARD [Eugene]. — Empoisonnement par la nicotine et le tabac. Th. Paris, 1876 [et publié par V. A. Delahaye & cie, 1876]. (4) RUSSO-GILIBERTI. — Dell'asmo tabagico. Bull. del Soc. Igiene di Palermo, I, nos 9 et 10. soutenue par Tassinari, Israël, etc., a été partiellement confirmée par Kerez, Trillat, Arnold. D'autres cliniciens regardent, au contraire, la fumée de tabac comme un puissant agent d'irritation des voies aériennes et pensent qu'elle favorise les infections. Bien loin de partager l'avis de Monin qui considère l'habitude de fumer comme une excellente pratique propre à éviter la tuberculose, nous pensons que tout bacillaire pulmonaire au début doit s'abstenir rigoureusement de fumer; à plus forte raison, cette interdiction doit-elle être de règle pour le cavitaire. Seul le tuberculeux osseux qui n'aurait aucune atteinte pulmonaire ou laryngée, pourra fumer très modérément; encore faut-il craindre à la longue, en ces circonstances, une localisation secondaire du bacille de Koch en ces régions. Le retentissement du tabagisme sur le rein est peu marqué. Dans le domaine de l'expérimentation, comme en clinique humaine, cet organe paraît peu souffrir du poison. Graziani dit bien avoir remarqué, dans les reins des animaux intoxiqués, des hémorragies, des zones de nécrose, une dégénérescence granuleuse limitée à certaines cellules, mais Gouget (1) déclare
n'être arrivé à aucune constatation précise sur ce point: sur 8 lapins qu'il avait, en observation, 2 seulement présentèrent de l'albuminurie que l'autopsie démontra ètre indépendante de l'intoxication. Toutefois, récemment, Gebrowsky (1) soumettant des animaux à des inhalations de fumée a provoqué chez eux des lésions de néphrite hydropigène (ancienne néphrite parenchymateuse) avec cylindres hyalins. Des recherches personnelles entreprises avec M. Guillain, ont été moins heureuses et les conclusions que nous en avons pu tirer, se rapprochent sensiblement des résultats obtenus par Gouget. Sur quarante lapins, il n'y en eut que quatre qui furent trouvés albuminuriques. Histologiquement, il nous a été quelquefuis possible de déceler, quoique rarement, la présence de cylindres hyalins dans les canaux droits. Les altérations étaient cantonnées à certains endroits du rein; la néphrite était parcellaire et affectait principalement les tubuli contorti. Encore importe-t-il d'être très prudent dans l'interprétation des modifications apportées à la structure de l'organe, car beaucoup de conditions entrent en jeu: l'heure plus ou moins tardive de l'autopsie, la température extérieure, le choix du fixateur, etc., tous facteurs qui ne doivent pas être négliges.
Il est de toute évidence que le rein, à l'égal des autres émonctoires, est lésé dans le tabagisme, mais ici les poisons et, en particulier, la nicotine, subissent dans le foie des transformations qui les rendent moins nocifs pour les tubuli contorti. Ils agissent sur l'appareil urinaire surtout d'une manière indirecte en provoquant de l'hypertension artérielle. Cette opinion qui s'appuie déjà sur la diurèse que détermine chez l'homme l'usage du tabac, a été tout récemment confirmée par Fleig et de Visme (1). Ces auteurs ont reconnu, en effet, que les inhalations de fumée amenaient chez les animaux qui en étaient victimes, une énorme vaso-constriction des reins. Beaucoup de médecins des manufactures des tabacs ont, depuis le milieu du dernier siècle, insisté sur les troubles génitaux qui survenaient chez les ouvrières de ces établissements. Ce point si intéressant sous le rapport de l'hygiène des ateliers, a divisé les cliniciens en deux
camps, selon qu'ils reconnaissaient ou non, en ces circonstances, une nocivité spéciale au tabac et a suscité de nombreuses recherches expérimentales. Depierris (1) plaçant des coqs dans un compartiment où se consumait lentement du scaferlati ordinaire, a constaté que les poules livrées à ces coqs ne donnaient que peu d'œufs; encore la plupart étaient-ils «clairs»; les quelques poussins nés dans ces conditions étaient maigres et faibles. Une autre expérience du même auteur porta sur deux lapins dont l'un était intoxiqué; chaque animal disposait du même nombre de femelles. Or celles du premier lapin donnèrent naissance à 13 lapereaux; celles du témoin à 37. Trois mois après, 9 restaient de la première portée, mais des 27 autres, 21 demeuraient vivants. Petit (2) empoisonnant lentement des cobayes, des chiens, des coqs et des lapins de façon diverse, a provoqué de la sclérose du testicule. Ces faits n'ont jamais été relevés chez nos animaux et, chez tous, l'instinct génésique a paru persister. Par contre, nous avons constamment occa-
(2) Cité par LE JUGE DE SEGRAIS. — De l'impuissance génésique provoquée par l'abus du tabac. Archives gén. de méd., 1902, I, p. 385. sionné, quelquefois même en série, l'avortement de nos femelles pleines, qu'il s'agisse de souris, de lapines ou de cobayes; les autres femelles soumises à l'intoxication sont restées stériles. Plusieurs auteurs ayant attiré l'attention sur la débilité des enfants des ouvrières cigarières, nous avons examiné les embryons de nos animaux et nous y avons décelé différentes lésions qui ne sont autres que celles de l'empoisonnement aigu. Tout dernièrement, des expériences de Robinson dirigées dans le même sens et concernant uniquement des chiennes, n'ont pas été couronnées de succès. D'après lui, l'action du tabac serait essentiellement variable selon l'espèce considérée. Il est extrêmement difficile de préciser par quel mécanisme l'avortement se monire. Le tabac agit-il directement sur l'utérus gravide vu le pouvoir qu'exerce la nicotine sur la fibre musculaire? Cuzzi et Resierelli (1) invoquent la présence de l'alcaloïde dans le placenta même. Stolz (2) dit avoir été surpris de l'odeur que
(2) In TARNIER et BUDIN. — Traite des accouchements. II, p. 33. possédait le liquide amniotique des cigarières accouchant prématurément; Ruel a soutenu l'existence de la nicotine dans ce liquide; Kostial, plus récemment Vinay, dans le lait, mais cette opinion a été combattue dernièrement par Mlle B. Grimpret (1). Il est plus vraisemblable que les troubles de la gestation résultent de la souffrance de l'organisme tout entier et principalement du fonctionnement défectueux du foie. La glande hépatique déjà touchée antérieurement par une intoxication lente et continue ne pourrait faire face au nouvel effort que réclame l'état de grossesse. Cliniquement, plusieurs médecins ont noté, chez l'homme habitué au tabac, un affaiblissement des désirs sexuels, quelquefois même une frigidité absolue comme Le Juge de Segrais (2), Seglas, Béhier, Gordier, etc., en ont rapporté des cas. Au reste, cette impuissance est passagère et cesse dès que l'individu renonce à fumer. Il convient de faire de grandes réserves à cet égard; la plupart de ces sujets sont, d'après la lecture de ces observations, des névropathes et il est fort délicat d'apprécier le
(2) LE JUGE DE SEGRAIS, loc. cit. rôle précis que joue l'intoxication en ces circonstances. La même réserve s'impose à propos de certaines variétés d'infantilisme qui auraient été causées par le tabac (Lucas) (1); leur existence est très discutable; aujourd'hui, elles ne se voient plus. Chez la femme ouvrière des manufactures de l'Etat, le tabac aurait, pour les uns, une influence des plus néfastes (2). Elle serait prédisposée aux pertes fondantes entre et pendant ses règles (Brochard, Lebail, Francis Jacques) et souffrirait presque toujours de leucorrhée. Cette opinion est formellement rejetée par Ygonin (3), Brouardel et surtout par Piasecki (4). Ce dernier, sur 489 cigarières, n'en compte que 41 ayant éprouvé quelques troubles
(2) Cf. la discussion engagée à la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle des 24 décembre 1879 et 23 février 1880 à laquelle prirent part Delaunay, Brouardel, Thévenot, Perrin, Bouley, Laborde, Goyard. (3) YGONIN. — Quelques mots sur l'usage du tabac et sur l'influence de sa fabrication sur les fonctions physiologiques de l'utérus. Lyon méd., 1880, p. 397. (4) PIASECKI. — Influence des manufactures de tabac sur la menstruation, la grossesse et sur la santé des nouveau-nés. Rev. d'hyg. et de police sanit., novembre 1881, III. p. 910. menstruels et encore une seule avait-elle véritablement des métrorrhagies. Les niémes divergences se retrouvent touchant la fréquence des avortements dans ces conditions. En dehors des effets abortifs du tabac, bien connus depuis longtemps et qui occasionnent alors une intoxication aiguë, la préparation du scaferlati favorise-t-elle l'arrêt de la grossesse? Les statistiques de Piasecki, d'Ygonin, de Louis Poisson (1) et de Joire (2) sont contre cette thèse: Sur 188 jeunes mariées, Piasecki en signale 41 sans enfants; les autres en possédaient 376 dont 14 mort-nés; 28 femmes avaient fait des fausses couches dont le nombre s'élevait à 47; 35 de ces fausses couches étaient survenues sans cause. Ygonin ne cite que 17 avortements sur 190 femmes. Les recherches de Mlle Grimpret et, plus récemment, de Robinson, donnent lieu aux mêmes conclusions. Ces travaux sont en contradiction avec les
(2) JOIRE. — Influence des émanations du tabac sur la santé des ouvriers dans les manufactures. Annales d'hyg. publ. et de Med. lég., 3e série, VIII, mars 1882, p. 219. rapports fournis par Lebail, Delaunay, Thévenot, Brochard, etc. D'après Francis Jacques, dix femmes cigarières ont présenté 15 avortements et n'ont jamais accouché à terme. Pour Jacquemart (1), l'avortement se constaterait dans 45% des cas, chiffre qui tombe à 11,5% avec Etienne. Guido Pieraccini (2) cite, sur 484 ouvrières enceintes employées a la Manufacture des tabacs de Florence, 15 avortements, 4 fois une menace d'avortement et 16 accouchements prématurés. Livon (3) rapporte l'histoire de trois femmes: la première eut 14 grossesses: sept menées à terme alors qu'elle n'allait pas à l'établissement, sept autres qui avortèrent après son admission. La deuxième femme eut 10 grossesses sans résultat; la troisième femme, sur 8 grossesses, n'en put conduire que deux à lerme en raison de son départ de la Manufacture. La nocivité du tabac, pour plusieurs hygiénistes, s'étendrait même à la descendance de l'intoxiquée, mais les divers chiffres apportés
(2) Guido PIERACCINI, loc. cit. (3) LIVON.— Grossesse et avortements chez les femmes employées à la manufacture de tabac. Marseille médical, 1907, no 5; anal. in Journ. de méd. et de chir. pratiques, 10 mai 1907. au débat par Guérin, Piasecki, Kostial, Decaisne, etc., n'ont qu'une valeur toute relative élant donnée l'époque déjà ancienne à laquelle remontent ces statistiques. Il y a lieu de tenir compte qu'à cette date, beaucoup de ces enfants étaient nourris artificiellement, avec du lait plus ou moins sain, dans un milieu qui laissait à désirer au point de vue salubrité et propreté. De plus, la syphilis, l'alcoolisme, le séjour prolongé dans les salles surchauffées de jadis (Pla) (1), tous ces facteurs contribuaient à augmenter puissamment la mortalité infantile. Aujourd'hui que les règles d'hygiène industrielle sont sévèrement observées, que les ateliers sont largement aérés et ne sont plus encombrés, les accidents signalés plus haut, tant chez la mère que chez l'enfant, ne se voient plus guère, et partant, il est difficile d'admettre que le tabac seul est en jeu quand l'ouvrière cigarière souffre de désordres génitaux.
ACTION DU TABAC SUR L'APPAREIL
I. L'ATHÉROME AORTIQUE EXPÉRIMENTAL
La question de l'athérome tabagique expérimental a été l'objet, en ces dernières années, de très nombreuses recherches. M. Josué
(1), le premier après, avoir provoqué de l'athérome chez le lapin, par des injections d'adrénaline, voulut, en 1905, créer chez l'animal, la même lésion à l'aide de la nicotine dont on connaît la puissance vaso-constrictive. Dans ce but, il injecta à des lapins dont le poids variait de 1700 à 2000 grammes, cinq gouttes d'une solution de nicotine à 1 %, soit un quart de milligramme.
Un lapin reçut ainsi 102 injections intra-veineuses en six mois; un autre, 96 en cinq mois; deux autres, 86 en cinq mois; le dernier, 34 en deux mois. Chez tous ces animaux, l'aorte fut trouvée saine, malgré le nombre de semaines pendant lesquelles l'expérience avait été poursuivie et malgré la proportion de nicotine vraiment considérable ainsi introduite dans l'économie. Adler et Hensel (1), en 1906, furent plus heureux en se servant d'une solution de nicotine à 0,5 % et en injectant par voie veineuse chaque fois un tiers de centimètre cube, soit à 0gr, 0015 de l'alcaloïde. Ils obtinrent de la sorte, chez le lapin, de l'athérome déjà net, après 18 injections, plus marqué après 38 injections pour atteindre son maximum avec 50 injections. A ce degré d'intoxication, les lésions occupaient toute l'aorte jusqu'à la naissance des iliaques. Toutefois, certains animaux tolérèrent de 60 à 110 injections, sans offrir la moindre altération de l'aorte. Selon ces auteurs, l'insuccès de M. Josué tenait aux doses minimes qu'ils utili-
ID. — Des effets sur les lapins des injections intra veineuses de nicotine. Proceedings of the Society for expérimental Biology and medecine, vol. III, 1905-1906, p. 36. sait et à la nécessité d'employer des solutions fraîches de nicotine, vu le caractère volatil de ce corps. Vers la même époque, Miller (1), traitant deux lapins par des injections intra-veineuses quotidiennes de 0gr,0015 de nicotine, occasionna, mais chez un seul animal,
Papadia (2) arriva au même résultat. Gebrovsky (3), avec une solution de nicotine à 0,5%, provoqua, chez trois lapins, des lésions discrètes d'athérome, après 53, 68, 53 injections; deux lapins furent réfractaires. Malgré léchée éprouvé par M. Josué, il semble prouvé que la nicotine possède un pouvoir athéromigène. En est-il de même du tabac, alors que les chimistes contemporains ont démontré que cet alcaloïde faisait presque défaut dans la composition de la fumée de tabac? Déjà en 1905, Boveri (4), en faisant ingérer
(2) PAPADIA. — Artério-sclérose expérimentale par la nicotine. Riv. di patol. nerv. et ment., 1907, p. 161-173. (4) BOVERI. — Athérome aortique expérimental d'origine tabagique. Clin. med. italiana, juin 1905; anal. in Sem. méd., 16 août 1905, p. 390. presque chaque jour à 16 lapins, au moyen d'une petite sonde, de 10 à 40 centimètres cubes d'une infusion de tabac à 10 %, fît apparaître chez quatre d'entre eux des plaques calcaires réparties sur toute la longueur de l'aorte; chez 6 animaux, le vaisseau était dilaté au niveau de sa crosse et sa portion thoracique était notablement épaissie; chez 6 autres lapins, l'aorte était normale. Point important, tous les lapins qui étaient porteurs d'athérome avaient, en outre, leurs capsules surrénales très hypertrophiées. Baylac (1) et Amouroux (2), en 1906, utilisant des macérations à 10 et 20 % et des infusions à 10 % par voie veineuse ou par voie sous-cutanée, déterminèrent les mêmes lésions d'une manière constante chez 8 lapins. Dans trois cas, les expérimentateurs remarquèrent la présence des petites cavités anévrysmales. Vers la même date, Gouget (3) prépara une infusion de tabac à 10 % dont il se servit pour des injections intra-veineuses à la dose d'un demi-centimètre cube et pour des gavages à raison de 10 centimètres cubes. Sur 8 lapins, un seul eut de l'athérome. Par contre, un autre
(2) AMOUROUX. — Étude expérimentale de l'athérome tabagique. Th. Toulouse, 1906. lapin qui, en six mois et demi, avait ingéré 4 650 centimètres cubes d'infusion en 90 séances et 22 centimètres cubes en 22 injections intraveineuses ne montra aucune altération de l'aorte à son autopsie. A la même époque, Lesieur (1) fit naître de l'athérome dans les mêmes conditions par des injections sous-cutanées et intra-veineuses de macération de tabacs français et anglais. Quelques mois plus tard, Lœper et Boveri (2) procédèrent différemment et fabriquèrent des pilules de tabac du poids moyen de 1gr, 50 qu'ils firent avaler à un lapin; celui-ci, après avoir absorbé 18 pilules en l'espace de 54 jours, présenta des plaques calcaires le long de la portion descendante de l'aorte. Bail (3), portant ses recherches sur plusieurs lots de lapins, donna aux uns, chaque jour, 12 gouttes d'une solution de jus de tabac dans de l'eau distillée à 0gr, 50 %; d'autres furent traités avec des injections et des gavages d'infusion de feuilles de nicotiana tahacam à 10 °/o, de scaferlati ordinaire et de caporal doux déni-
(2) LŒPER et BOVERI. — Athérome aortique expérimental par le tabac et par l'ergotinine. Soc. anat., 31 mai 1907. (3) BALL. — L'athérome aortique chez l'homme et les animaux. Th. Lyon, 1907. cotinisé. La première série d'expériences fut négative ainsi que l'intoxication par la plante elle-même; l'aorte d'un seul lapin était légèrement athéromateuse (il est juste d'ajouter que les autres animaux avaient succombé rapidement). Sur 7 lapins auxquels avait été administrée l'infusion de scaferlati, l'aorte de deux était partiellement calcaire. Gebrowsky (1) intoxiqua un grand nombre de lapins, un premier groupe avec de la fumée de tabac; un 2e, un 3e et un 4° groupes avec des dissolutions de fumée dans du sérum artificiel injectées par voie veineuse; un 5e groupe reçut du liquide contenant les autres substances qui rentrent dans la composition de la fumée: un 6e groupe fut traité par une solution d'adrénaline à 1/1 000, enfin le 7° groupe servit de témoins. Or, de tout le lot, trois lapins seuls qui avaient été soumis à l'extrait de fumée eurent des lésions manifestes de l'aorte. Des travaux ultérieurs du même auteur (2) donnèrent lieu à des conclusions identiques et depuis, Clark (3),
(2) ID. — Sur l'action de la fumée de tabac donnée aux animaux en inhalation. Rousski Vratch, 29 mars 1908. (3) CLARK. — The experimental effects of tobacco on the nervous system, Med. Record, 29 juin 1907, p. 1072. [Plus, en anglais]. Rickett (1) ont confirmé les résultats auxquels il était arrivé. L'athérome ainsi créé siège au début, dans la partie sus-valvulaire de la crosse de l'aorte; plus tard, il s'étend presque toujours et occupe alors la portion thoracique seule ou tout le vaisseau. Les plaques calcaires peuvent, quoique rarement, se limiter à la portion abdominale. On noterait d'abord, en ces points, un épaississement saillant ou lisse; d'autres fois, un simple plissement de l'endartère (Pearce et Stauton (2) ou une apparence gaufrée de l'aorte (Scheidemandel) tenant à des nodules d'un blanc jaunâtre, opaques. Ces nodules, de la grosseur d'un grain de plomb, se creusent en leur centre et font extérieurement des saillies, d'où autant de petits anévrysmes cupuliformes. Ces lésions s'orientent, d'une façon générale, selon l'axe du vaisseau; communément une plaque est plus grande que les autres. Toutes se font remarquer par leur fond brillant, segmenté de cassures transversales, parallèles entre elles, ce qui leur donne l'aspect d'un canot (Thévenot) (3) et par leurs bords saillants et lisses. Au palper, elles apparaissent
(2) PEARCE et STAUTON. — Artèrio-sclérose expérimentale; Pr. Méd., 21 juin 1905. (3) THÉVENOT. — Athérome aortique expérimental, th. Lyon, 1907. dures et craquent sous le doigt; leur nombre et leurs dimensions sont des plus variables; il en est de minimes, landis que d'autres n'ont pas moins de 2 à 3 centimètres de long sur 5 millimètres de large et 1 à 3 millimètres de profondeur (Rembert) (1); quelquefois même la déformation de l'aorte est à son maximum; le vaisseau prend une apparence moniliforme; il est comme pavé, crie sous les ciseaux et rappelle, suivant les comparaisons classiques, un collier de perles (Scheidemandel), une trachée d'oiseau, un ventre de reptile. L'athérome tabagique expérimental a soulevé plusieurs discussions toucliant la localisation initiale des lésions, les rapports de l'athérome humain avec l'athérome expérimental et ceux existant entre cette dernière variété d'athérome et l'athérome spontané des animaux. La localisation initiale des lésions ne nous arrêtera que peu. Pour Josué (2), Gouget (3), Bo-
(2) JOSUE. — Contribution à l'étude histologique de l'athérome artériel. Journ. de Physiol. et path. gén., 1905, no 4; Les lésions des tissus élastiques des artères dans l'athérome. Soc. Biol., 10 décembre 1904; Athérome artériel et artério-sclérose. Pr. Med., 1904, no 36; Pathogénie de l'athérome artériel. Congr. Franc., de med., 1904, 7o session, Trib. méd., 5 nov. 1904. veri (1) etc., la tunique interne serait d'abord intéressée sous forme d'hyperplasie (qui, selon Klotz, serait secondaire à l'altération de la tunique moyenne). Quelquefois même, l'endartère a totalement disparu; la plaque calcaire seule constitue à ce niveau la paroi vasculaire. D'après Pic et Bonamour (2), Dmitrijieff, Jores, etc., l'apparition de la plaque est précédée constamment de la fragmentation de la fibre élastique; Pearce et Stauton, Bennecke, Adler et Hensel (3), au contraire, penchent pour l'atteinte primitive des cellules musculaires qui tomberaient et seraient remplacées par des dépôts calcaires. Quant aux fibres élastiques, elles n'auraient aucun rôle actif dans la genèse des lésions; elles s'allongeraient passivement et finalement se rompraient. La tunique externe demeurerait intacte. Seul, Orlowsky insiste sur la présence de nombreux éléments lymphoïdes dans l'adventice. La majorité des hiotologistes ne cite aucune altération des vaso-vasorum et ne se rallie
(2) PIC et BONAMOUR. — Contribution à l'étude du déterminisme de l'athérome aortique expérimental; Soc. Biol., 4 février 1905. Lyon médical 1905, p. 413; Soc. méd. hop. Lyon. 7 février 1905. (3) ADLER et HENSEL, loc. cit. pas sur ce point à l'opinion d'Hippolyte Martin (1) et de Lewascheff (2). D'après plusieurs auteurs, Hédinger, Lissauer, Lœper (3), Klotz (4), etc., il faudrait, au reste, n'attacher qu'une importance relative a l'athérome ainsi provoqué, car il existerait de notables différences entre la lésion expérimentale, telle qu'elle vient d'être décrite et l'athérome de l'homme et, selon eux, les altérations créées chez l'animal seraient plutôt celles de l'artério-nécrose, affection consistant en une calcification de la tunique moyenne du vaisseau et que Monckeberg et Marchand ont trouvée chez l'homme à différentes reprises. Beaucoup de physiologistes, notamment Josué (5), Gouget (6), Boveri, Pearce et Stauton ne se rangent pas à cette manière de voir; sans doute, disent-ils, La bouillie athéromaleuse ne se constate-T-elle jamais chez le lapin, mais les autres caractères de l'aortite, a savoir la calcifi-
(2) LEWASCHEFF. — Archives slaves de biologie, 1885. (3) LŒPER. — Les poisons des artères et l'êtiologie de l'athérome et de l'arterio-sclérose. Pr. Méd., 1906, no 30; Le processus histologioue de l'athe'rome et de l'artèrio-sclérose. Pr. Méd. 1906, no 29. (4) KLOTZ. — Expérimental production of arteriosolerosis. Brit. méd. Journ., London 1906, p. 1767. cation, la dégénérescence hyaline, la destruction des libres élastiques et musculaires se remarquent ici. Pour ce qui est de la différence du siège des plaques calcaires chez l'homme (tunique interne) et chez l'animal (tunique moyenne), elle tient uniquement à la façon dont on a divisé artificiellement la paroi vasculaire (Josué). On a encore soulevé la question de l'identité existant entre l'athérome spontané de l'animal et l'athérome artificiel occasionné chez lui par un poison quelconque. Le plus grand nombre des expérimentateurs admettent une analogie complète entre les deux variétés de lésions (Ball) (1), Lucien et Parisot (2) ont confirmé la justesse de celte opinion en portant leurs recherches sur des animaux de même espèce, des lapins et des lièvres, pour éviter toute erreur. Un travail personnel entrepris en collabora-
(2) LUCIEN et PARISOT. — Note sur les rapports entre les lésions de l'athérome expérimental et spontané. Run. biol. de Nancy, i8 janvier 1908. ID. — Les lésions de l'athérome expérimental et spontané chez les lapins. Réun. biol. de Nancy, 11 mai 1908. ID. — L'athérome spontané chez le lapin; ses fréquences et ses caractères généraux; Run. biol. de Nancy, 11 mai 1908. ID. — La pathogénie de l'athérome d'après l'étude de ses lésions expérimentales et spontanées. Pr. méd., 21 novembre 1908, p. 47. tion avec M. Guillain (1) est quoique peu en désaccord avec les faits précédents. Nes examens ont intéressé 64 lapins que l'on peut classer en deux groupes:
Dans le premier groupe qui comptait 30 animaux, on ne relève qu'un seul cas d'athérome
chez un sujet n'ayant jamais supporté d'injection; au niveau de la portion thoracique de l'aorte, il présentait un petit anévrisme long d'un centimètre environ et profond de deux millimètres. Dans le deuxième groupe, composé de 34 lapins, 3 animaux ont eu de l'athérome: Le premier, traité par de la macération de tabac désintoxiqué, procédé Parant (genre Havane) à 20%, avait eu 36 injections intra-veineuses et 73 injections sous-cutanées d'un centimètre cube, soit 109 injections en 153 jours: à 8 centimètres du cœur existaient deux petites plaques calcaires elliptiques de la grandeur d'un grain de chènevis. Le deuxième lapin avait pris par gavage 930 centimètres cubes de macération de scaferlati ordinaire à 10% à raison de 10 centimètres cubes par séance. Il était porteur de nombreuses plaques calcaires sur toute l'étendue de la crosse de l'aorte ainsi que sur la portion thoracique de ce vaisseau. Le troisième enfin, avait reçu 47 injections sous-cutanées d'un demi-centimètre cube de dissolution aqueuse de fumée de tabac caporal ordinaire en 73 jours; son aorte offrait des plaques calcaires réparties les unes sur la crosse, les autres sur la portion abdominale du vaisseau. A ces faits positifs, il est bon d'opposer que tous les autres lapins ne montrèrent aucune lésion de leur système circulatoire. Parmi eux, citons quelques exemples très démonstratifs: Chez tous ces animaux, l'aorte fut trouvée saine. La faible proportion d'athérome chez nos lapins est en contradiction avec les chiffres fournis par les auteurs précédents. Cette divergence dans les résultats obtenus ne s'explique ni par une technique différente ni par le mode d'administration ni encore par le produit utilisé. Aussi croyons-nous, sans nier d'une ma- nière absolue le pouvoir athéromigène du tabac, qu'il a été exagéré. A lui seul, le tabac ne saurait donner naissance à des lésions vasculaires; sans doute contribue-t-il à les provoquer conjointement à des infections et à des intoxications surajoutées, mais, dans ces faits expérimentaux, il convient d'être très réservé et de tenir grand compte de la fréquence de l'athérome spontané. L'athérome spontané du lapin déjà signalé par von Rzentkowski et Kaiserling a été l'objet de statistiques très intéressantes. Thévenot (1) sur 8 lapins, découvre un cas d'athérome; Kalamkarov (2) en constate chez 3 lapins sur 30 animaux. Giovanni-Quadri (3), Johnston insistent sur la possibilité de plaques calcaires chez des sujets jeunes, en dehors de toute infection et de toute intoxication. Miles (4) note, sur 49 lapins, 17 athéromateux, soit une proportion de 34%; Bennecke cite un pourcen-
(2) KALAMKAROV. — L'athérome expérimental de l'aorte et l'influence qu'exercent sur ce processus les préparations iodées. Rousski Vratch, 17 mars 1907; anal. in Sem. méd, 1907, p. 261. (3) Giovanni QUADRI. — Altérations athèromateuses de l'aorte des lapins en l'absence de toute injection de substances toxiques. Journ. des Prat., 17 août 1907, no 33, p. 519. (4) MILES. — Athérome spontané chez le lapin. Journ. of the Amer. med. assoc., 5 octobre 1907. tage de 3%; Lucien et Parisot (1) de 5 %. Par contre, Hedinger, Loeb et, plus récemment, Sicard, déclarent n'avoir jamais observé d'athérome spontané. Il est difficile d'exposer les raisons pour lesquelles des observateurs également consciencieux arrivent à des résultats si opposés. Néanmoins, en ces circonstances, il est plusieurs facteurs qui sont loin d'être négligeables: On doit encore faire des réserves sur les conditions d'expérimentation spécialement favorables à la production de plaques calcaires, car on introduit ainsi dans le problème à résoudre un élément qui fausse le résultat. Il est, en effet, plus probant de créer l'athérome chez un lapin jeune que chez un animal âgé, car ce ____________________________________ (1) LUCIEN et PARISOT, loc. cit. (2) PIC et BONAMOUR, loc. cit. (3) LOEPER et BOVERI. — La chaux et les artères, Pr. Méd., 26 juin 1907, p. 401. dernier, de toute évidence, a déjà par lai même une tendance naturelle à faire de l'athérome spontané (Guillain et Gy) (1). Ces réflexions nous amènent à conclure qu'expérimentalement le tabac, à notre avis, est incapable à lui seul de faire apparaître les plaquescalcaires; tout au plus, favorise-t-il leur production en ajoutant son action à celle beaucoup plus importante des autres infections et intoxications, à l'influence de l'âge, du genre particulier d'alimentation, etc. Si les recherches entreprises par M. Guillain et nous n'ont pas été couronnées de succès, c'est parce qu'elles furent entreprises sur des lapins relativement jeunes d'un poids qui oscillait entre 1 200 et 2 000 gr., pour nous mettre dans une situation telle que l'athérome tabagique vrai, pur, devait se montrer, si comme on le dit, il est très commun. Pour avoir, sur la paroi aortique, un effet plus atténué que beaucoup d'auteurs ne l'indiquent, le tabac n'en exerce pas moins, sur l'appareil circulatoire, une action uniquement prédisposante du reste (et nullement déterminante) à l'éclosion de diverses lésions. Le poison élève la
tension artérielle; Fleîg et de Visme (2) in-
(2) FLEIG et DE VISME. — Étude expérimentale de l'intoxication par la fumée de tabac; Action sur la pression sanguine. C. R., Soc. Biol., 9 nov. 1907; jectant dans les veines d'un chien de la dissolution aqueuse de fumée, provoquèrent chez cet animal une brusque et forte chute de la pression sanguine, toute passagère, en même temps que le cœur se ralentissait, mais bientôt survenait une hypertension manifeste coïncidant avec une accélération extrême du cœur. L'injection du même extrait dans le tissu cellulaire sous-cutané eut les mêmes conséquences bien que d'une façon moins brutale et plus modérée. Velich (1) qui, dans ses expériences, était arrivé à des conclusions analogues pense, en pareil cas, que le tabac agit sur l'appareil vasculaire non directement, mais par une voie détournée en impressionnant les centres bulbaires qui règlent la pression artérielle. L'existence de cette hypertension artérielle est encore démontrée par l'hypertrophie du cœur que présentaient la plupart des lapins intoxiqués par le tabac (Adler et Hensel (2), Guillain et Gy). L'étude histologique de cet or-
(1) VELICH. — Contribution à l'étude de l'action de la nicotine, de la conine, de la pipéridine et de l'extrait de glandes surrénales sur le système vasculaire. Mediz. Blatt, 16 juin 1906. (2) ADLER et HENSEL, loc. cit. gane nous l'a toujours montré sain. Les comptes rendus des expériences de Favarger (1) indiquent, bien de la dégénérescence du myocarde, mais cet auteur, à notre avis, n'a pas tenu suffisamment compte de l'infection chronique surajoutée dont avalent souffert ces animaux. Tout dernièrement, Otto, après des injections de nicotine à des lapins, a relevé l'existence d'une hypertrophie du cœur avec altérations parenchymateuses et interstitielles du muscle, sclérose des coronaires amenant parfois une oblitération des ramificatiens de ces artères. Gebrowsky (2) a constaté des lésions des ganglions intra-cardiaques chez des lapins exposés à la fumée de tabac. Clerc et Pezzi (3), étudiant l'action de la nicotine diluée à 1/10 000 et à 1/100 000 sur le cœur isolé du lapin, du chien et du macaque, ont vu que le poison occasionnait alors un arrêt du cœur ou diastole suivi d'une tachycardie accentuée avec augmentation considérable de l'amplitude des battements. Dans ces dernières années, plusieurs cliniciens, Gouget, Letulle, Vaquez, Aubertin et Ambard, etc., ont fait de l'athérome une consé-
(3) CLERC et PEZZI. — Action de la nicotine sur le cœur isolé de quelques mammifères. Soc. Biol, Séance du 24 février 1913. quence de l'irritation des glandes surrénales, en raison du pouvoir hypertenseur tout spécial de l'adrénaline. En fait, Boveri (1), sur 16 lapins intoxiqués, a remarqué chez trois d'entre eux des capsules surrénales très augmentées de volume; Ball (2), sur 14 lapins traités par des infusions de tabac, a retrouvé cette hypertrophie qui intéressait particulièrement la couche corticale. Dans des recherches faites par M. Guillain et nous, et qui portaient sur 49 lapins et 15 cobayes, il nous a été donné assez souvent de constater le développement anormal des glandes surrénales, l'examen histologique y a révélé un hyperfonctionnement variant d'un animal à l'autre. Plusieurs fois même, la majeure partie des cellules des zones fasciculée et réticulée avaient subi la transformation spongiocytaire, indice d'une surrénalite chronique hyperplasique diffuse. Le tabac, comme beaucoup d'autres poisons, a donc une action indéniable sur les capsules surrénales et, sans doute, cette suractivité glandulaire n'est pas sans jouer un rôle dans l'hypertension si communément rencontrée expérimentalement.
Les recherches qui viennent d'être exposées démontrent quelle importance prend l'usage du tabac dans la genèse des troubles cardio-vasculaires observés chez les fumeurs. Les accidents rencontrés à cet égard sont des plus divers et leur gravité fort variable; les uns sont légers, tout passagers comme les palpitations, les névralgies, d'autres, comme l'angine de poitrine, l'arythmic et surtout la dysbasie angiosclérotique sont plus sérieux et comportent un pronostic plus réservé. L'angine de poitrine constitue l'incident le plus fréquent au cours de l'intoxication tabagique; elle survient, en général, chez le vieux fumeur, bien qu'elle puisse se voir chez le débutant, jeune, en raison précisément de son défaut, d'accoutumance au poison et, en particulier, lorsque le sujet est névropathe. Communément, l'accès éclate brusquement après un excès de tabac, ordinairement la nuit. L'individu s'élait couché bien portant, quand il est brutalement tiré de son sommeil par une souffrance siégeant dans la région précordiale: une sensation de pesanteur que le malade compare à un étau, à une barre de fer, écrase, étreint sa poitrine. Cette douleur, d'une intensité très grande, irradie dans l'épaule, le bras et la main du côté gauche, gagnant l'extrémité des deux derniers doigts. Horriblement anxieux, par le sentiment d'une mort prochaine, le patient dont le front est couvert de sueur, s'assied dans son lit, n'osant guère remuer, modérant sa respiration; il porte instinctivement la main droite sur la région précordiale dans le but vain de calmer son angoisse; quelquefois il se prend le pouls, pensant à tout instant le sentir faiblir alors que les battements du cœur demeurent réguliers et bien frappés. Un temps qui ne s'étend pas au delà de quelques minutes habituellement, s'écoule dans cette triste situation, puis les souffrances disparaissent aussi subitement qu'elles s'étaient montrées et le sujet se rendort gardant de l'accès qu'il vient de subir, la crainte de le voir réapparaître la nuit prochaine. Il s'agit, peut-on dire, d'une sorte d'avertissement d'une «crise d'alarme», d'allures plus effrayantes qu'elle n'est véritablement dangereuse. Dans la plupart des cas, l'impression de terreur qu'a éprouvée le fumeur est telle que durant plusieurs jours ou même plusieurs semaines, il renonce à l'usage du tabac, mais peu à peu le caractère dramatique de l'accès s'efface de sa mémoire, le sujet se reprend à fumer, ce qui déclanche plus ou moins rapidement une nouvelle crise d'angor pectoris. Cette description de l'angine de poitrine, pour répondre à la majorité des faits cliniques, n'en demeure pas moins quelque peu schématique. Chaque sujet fait son accès à sa manière qui lui est propre. De plus, l'élément douleur, caractéristique de l'angoisse, a mille façons de se manifester et entre les souffrances aiguës que tel individu ressent et le simple endolorissement local que tel autre accuse, se placent toute une foule d'intermédiaires. Il en est de même en ce qui concerne le pronostic du syndrome quand il se réalise au grand complet; bénin lorsque l'accès est conditionné par des troubles gastriques ou par un spasme coronarien, d'origine toxique, il est, par contre, très sombre lors de grande angine, conséquence de coronarite et en pareilles circonstances, le malade peut succomber dès la première, plus souvent dans la seconde crise. Les souffrances cardio-thoraciques qu'endure le fumeur ont donc une variabilité extrême. C'est tantôt une douleur limitée à la zone précordiale ou étendue à l'hémithorax gauche. Souvent même, le terme de précordialgie est trop fort; pour parler plus justement, il s'agit de palpitations. Celles-ci qui ne sont pas sans effrayer le patient, apparaissent brusquement fréquemment alors qu'il sort de table, tandis qu'il est assis à son bureau ou après un effort minime, quelquefois encore la nuit, à la manière de l'angine. Elles ne persistent que quelques instants et sont sans gravité bien que ces «faux cardiaques» (Josué) (1) ne soient pas sans inquiétude touchant la possibilité d'une lésion cardiaque. A un degré plus élevé, la douleur névralgique affecte le type de l'angine de poitrine névralgique telle que l'ont autrefois décrite Peter (2), Cuny (3), sinon, cas beaucoup plus commun, l'angine classique dont le tableau a été tracé plus haut. Connu depuis longtemps, ce syndrome a été, à maintes reprises, l'objet de descriptions magistrales de la part de cliniciens comme Graves, Stokes, Leudet (4) et surtout Huchard (5). Parfois l'accès s'accompagne de dyspnée, de vertiges, de refroidissement des extrémités et d'un sentiment d'asthénie profonde (forme vasomotrice). Quelque fois encore la crise éclate après le repas, principalement ta nuit, elle est alors due
(2) PETER. — Clin méd., 1873, I, p. 443. (3) CUNY. — Tabac et tabagisme. Th. Paris, 1885. (4) LEUDET. — Clin. méd. de l'Hôtel-Dieu de Rouen, p. 571. à des troubles dyspeptiques qui dépendent eux-mêmes de l'intoxication (forme gastro-tabagique de Huchard), A. Robin (1). Ces diverses manifestations douloureuses du tabagisme se voient à toute époque de la vie, Decaisne (2) les a rencontrées dans l'adolescence, surtout au moment où la puberté s'établit, mais naturellement l'homme y est prédisposé à mesure qu'il vieillit, par le fait qu'il subit en avançant en âge les atteintes d'infections variées ou d'autres intoxications. Les accès, bien que tout spécialement signalés chez les fumeurs, ne sont pas néanmoins propres à cette catégorie seule d'individus. Les priseurs, les chiqueurs, voire les employés des Manufactures des tabacs, n'en sont pas exempts. Le simple séjour dans une pièce enfumée peut les provoquer; l'«épidémie» d'angine de poitrine sur le vaisseau I'Embuscade, rapportée par Gélineau (3) en est le témoignage. Les conditions qui président à l'éclosion des crises sont des plus nombreuses. Leroy de Méricourt incrimine les émotions, Leudet, l'hygiène défectueuse, l'alcoolisme, le mauvais état
(2) DECAISNE. — Les enfants qui fument. Rev. d'hyg. et de police sanit., 22 mai 1883. (3) GÉLINAU. — Traité de l'angine de poitrine, 1887. général. D'autres insistent sur les dangers de surmenage intellectuel, des veilles prolongées, des souffrances morales, Huchard (1) et, plus récemment, Bolton Bangs (2) ont vu apparaître l'angor dans la convalescence des maladies infectieuses. En ces circonstances, l'organisme est plus susceptible en raison même de sa dépression et ne peut résister à l'intoxication. Ainsi s'explique ce cas, en apparence étrange, du fumeur qui jadis a impunément commis les plus grands excès de tabac et qui, un jour, est pris d'une crise angineuse, alors que depuis plusieurs années, il a considérablement restreint sa consommation quotidienne de poison. Selon que l'intoxication est de date récente ou, au contraire, remonte à une époque déjà ancienne, les accidents qui en résultent sont au reste différents. D'après Bureau (3), tandis que le jeune fumeur souffrirait surtout de précordialgie, de palpitations et d angine de poitrine, le vieux fumeur ressentira des troubles du
(2) Bolton BANGS. — Some observations on the effects of tobacco in surgical practice. Med. Rec., 14 mars 1908, p. 431. (3) BUREAU. — Accidents cardiaques tardifs dus à l'intoxication tabagique. Gaz. méd. de Nantes, 1907, no 22; anal. in Journ. de méd. et de chir., 25 sept. 1907, p. 696. rythme cardiaque. Avant que ceux-ci n'éclatent, ce dernier a, en général, éprouvé déjà de la cardialgie, de l'angor; néanmoins, le fait n'a rien de constant. Il se plaint de tendance au vertige, d'un malaise qu'il no peut exactement définir mais qui lui fait redouter une syncope et le tient éveillé une partie de la nuit. Les battements de son cœur sont forts, très ralentis; son pouls tombe à 60; Vallin (1) l'a même vu descendre à 24. Des intermittences qui affectent parfois le type d'arythmie rythmée sont loin d'être rares. Remarque très importante, la suppression absolue du tabac ne détermine que lentement la disparition de ces phénomènes; il est courant qu'ils persistent un an, et même deux ans. Naturellement, le plus petit retour aux habitudes passées, occasionne aussitôt une recrudescence de l'arythmie (Chapman) (2). Le mécanisme de ces divers accidents a été très discuté. Il semble avec Huchard qu'il n'y ait pas une mais plusieurs variétés d'angor. Cet auteur en distingue trois types: ____________________________________ (1) VALLIN. — Sur quelques accidents causés par le tabac. Rev. d'hyg. et de pot. sanitaire. 20 mars 1883; anal. in Journ. de méd. et de chir., 1884, p. 217. (2) CHAPMAN. — Le tabac, cause de dilatation et d'hypertrophie du cœur; le cœur tabagique. Med. News, 31 déc. 1892. naires; c'est l'angine bénigne, angina minor ou petite angine;
Cette pathogénie n'a pas été admise par tous les cliniciens. Se basant sur ce fait que la coronarite n'a pas été constatée à l'autopsie d'individus morts d'angine de poitrine, et sur l'importance très grande que prend la douleur dans le syndrome, élément fondamental que néglige Huchard, plusieurs médecins incriminent, suivant les circonstances, une névralgie ou une névrite du plexus cardiaque. D'autres font jouer un rôle à la distension cardiaque; pour Merklen et son élève Teissier, à l'origine de toute souffrance précordiale, il y aurait une distension brusque de myocarde, qu'il s'agisse d'angine fausse ou d'angine vraie, laquelle distension brusque irriterait les filets terminaux du plexus cardiaque. D'après Vaquez (1), ces troubles sont commandés par l'hypertension artérielle qui retentirait
secondairement sur le ventricule gauche et sur la naissance de l'aorte. «Ce n'est pas, dit-il, à la distension cardiaque, comme le veut M. Merklen, qu'il faut attribuer le rôle le plus important dans la pathogénie de l'angor pectoris par hypertension, mais à la dilatation aortique à l'origine de ce même vaisseau; le retentissement immédiat de cette dilatation sur le plexus cardiaque répond à la fois bien mieux aux conditions anatomiques et à la symptomatologie.»Or, on sait combien le tabac est par lui-même hypertenseur. Cette notion, établie déjà expérimentalement, a été vérifiée tout récemment encore par Barazzoni (1) et surtout par Messe (2). Chez divers individus pris au hasard, ayant fumé un, deux ou trois cigares sans interruption, ce dernier a remarqué que la pression artérielle s'élevait en des proportions variables d'un sujet à l'autre; parfois il a noté une légère accentuation passagère du deuxième bruit aortique, de la tachycardie affectant quelquefois une allure paroxystique.
(2) HESSE. — De l'influence exercée par le tabac sur la circulation. Deutsch Archiv. f. Klin. med., 1907, LXXXIX, 5-6. Ce fait est à opposer aux observations de pouls lent permanent d'origine nicotinique que Luzzetti et Bianchetti, Grassmann (1) ont publiées. De son côté, Huchard a depuis longtemps attiré l'attention sur les caractères du pouls tabagique qui est dur, serré et concentré. Le tabac serait ainsi susceptible de déterminer, d'après les Anglais, des altérations profondes du cœur. Chapman (2) insiste tout spécialement sous le nom expressif du cœur tabagique (tobacco heart) sur l'hypertrophie et la dilatation du myocarde, accidents qui disparaîtraient, ou du moins s'atténueraient avec la suppression de l'intoxication. Eid (3), reprenant l'opinion de Péter, a été jusqu'à admettre l'existence des lésions mitrales et surtout aortiques provoquées par le tabac. Il les a constatées, ajoute-t-il dans sa communication au Congrès de Paris en 1900, à maintes reprises chez de vieux fumeurs qui n'avaient jamais bu que de l'eau et chez lesquels aucune autre cause ne pouvait être invoquée. Rendu a relevé au cours d'un voyage en Corse, la fréquence extrême
(3) EID. — Lésions valvulaires du cœur d'origine tabagique. Congrès de Paris, 1900. des lesions aortiques chez les indigènes qui tous consommaient beaucoup de tabac. Deux de ces sujets entre autres, virent rétrocéder leurs symptomes cardiaques dès qu'ils eurent renoncé à leurs fâcheuses habitudes. Bien que Potain, et plus récemment Lancereaux, refusent au tabac un rôle quelconque dans la pathogénie de l'athérome, on ne saurait nier cette influence, connaissant l'action du poison sur les vaisseaux et sachant comme l'enseignent Huchard et M. Albert Robin, que l'hypertension artérielle peut, à la longue, donner lieu à des lésions de ce genre. Nos expériences relatées plus haut n'ont déterminé l'athérome aortique que d'une manière exceptionnelle. Cette contradiction toutefois n'est qu'apparente; de ce qu'en médecine, on cile des cas d'artérite d'origine tabagique, il ne s'ensuit nullement que le tabac en soit la cause unique. En réalité, les malades de cette espèce sont déjà âgés; ils ont subi depuis leur enfance de nombreuses infections, connues et inconnues, des intoxications variées. Dans ces conditions, le tabac ne fait que précipiter l'apparition de lésions artérielles, en raison du temps pendant lequel il agit et de son élection spéciale pour l'appareil cardio-vasculaire. De même nature est la claudication intermittente d'origine nicotinique dont Rénon, Laederich et Mazoux (1), Erb (2) ont rapporté plusieurs observations. Lorsqu'un individu est atteint de cette singulière affection encore appelée dysbasie angiosclérotique, il éprouve dans les jambes, dès qu'il a fait quelques pas, des fourmillements, des crampes ou se plaint d'engourdissement; ses membres inférieurs lui semblent d'une lourdeur extrême. Les pieds et les jambes, tantôt gardent leur aspect habituel, tantôt deviennent blancs ou, au contraire, prennent une coloration lie de vin. Les réflexes sont normaux, ainsi que la sensibilité objective; le pouls est petit, difficilement perceptible, assez souvent même, les pulsations des tibiales antérieures el des tibiales postérieures font défaut; plus rarement, celles de trois artères ou seulement de deux ou d'un vaisseau manquent. Les souffrances de plus en plus aiguës, si le sujet essaie de continuer sa marche, le forcent à s'arrêter; plusieurs minutes se passent; la douleur s'atténue, mais, après
Voir aussi RÉNON. — Le tabac et l'appareil vasculaire. Journ. Prat., 27 mai 1905. (2) ERB — Sur la dysbasie angiosclérotique «intermitti erendes Hinken». Munch med. Wochens, 24 mai 1904, no 21. quelques pas, elle revient avec toute son intensité. Cet état morbide qui coexiste ordinairement avec d'autres symptômes d'artério-sclérose peut se limiter à une jambe (dans la plupart des cas où il en était ainsi, la jambe gauche était intéressée). Après un temps plus ou moins long, apparaît la gangrène sèche athéromateuse d'un orteil ou de toute l'extrémité du membre. Fréquemment le syndrome n'est heureusement qu'ébauché; le pouls d'une tibiale n'est plus trouvé sans que la nutrition des tissus soit compromise. Quelquefois même le patient ne signale que des douleurs vagues intermittentes et une légère paresse des jambes, tous signes de suites redoutables et auxquels le médecin doit prêter grande attention. Ces accidents sont dus à un spasme artériel (au moins au début) qui entrave plus ou moins l'irrigation sanguine. La gène ainsi occasionnée n'entraîne pas de désordres quand les membres sont au repos, mais elle éclate dès que ceux-ci entrent en activité. Avec le temps, à cette mieopragie fonctionnelle succédera la lésion, c'est-à-dire la mortification des éléments anatomîques, consécutive à la sclérose artérielle. Le plus souvent, le tabac est à l'origine de ces phénomènes. Une première statistique d'Erbest, à cet égard, des plus concluantes: sur 42 malades souffrant de claudication intermittente, 7 n'a vouaient pas avoir fumé; 13 fumaient modérément ou pas du tout; 10 fumaient beaucoup; 15 fumaieint énormément, c'est-à-dire 40 à 60 cigarettes ou 10 à 15 cigares et plus par jour; un sujet fumait 8 à 10 pipes et prisait. Dans une autre statistique, le même auteur rapporte 120 observations semblables intéressant 113 hommes et seulement 7 femmes. Devant ces chiffres, l'action du tabac s'impose comme évidente et l'on ne peut que se ranger à l'avis de Hesse qui déconseille le tabac aux individus atteints de sclérose artérielle, d'atrophie rénale ou simplement hypertendus.
Le sang des animaux soumis à l'empoisonnement tabagique chronique n'a suscité que peu de travaux. Vas a remarqué qu'à mesure que ses lapins maigrissaient, le nombre de leurs hématies baissait; de 5 800 000, il tombait successivement à 3 100 000, 2 600 000 el enfin à 2 400 000. Corrélativement, le taux de l'hémoglobine passait de 90 % à 85 %, 40 % et 35 %.
Par contre, le chiffre des leucocytes s'élevait peu à peu, de telle sorte que le rapport des globules blancs aux globules rouges était de:
Les observations de Welich (1 Des recherches personnelles, entreprises sous la direction de M. Guillain, nous conduisirent à des conclusions à peu près analogues; le nombre des hématies n'a pas varié; le chiffre des leucocytes s'est légèrement élevé au-dessus de la normale. Deux de nos animaux seulement ont présenté de la fragilité globulaire pour des raisons inconnues. Le tabac, en effet, ne paraît pas doué de propriétés hémolysantes: un lapin de 2 300 grammes qui avait une résistance globulaire totale égale à H10,56/H20,52 reçut une injection intra-veineuse d'un centimètre cube d'une macération de tabac caporal ordinaire isotonique au sérum sanguin, trois heures après, la résistance globulaire totale H10,62/H20,52. Nous avons enfin tenté, à plusieurs reprises, de déceler dans le sérum du lapin une précipitine à l'aide d'une goutte d'une solution de nicotine à 1 %. Cet essai a toujours été vain. Les renseignements tirés de la clinique sont aussi incertains que ceux fournis par l'expéri-
mentation. Decaisne (1) a jadis signalé l'anémie des jeunes fumeurs et le teint décoloré, terne, des ouvriers des manufactures de l'Etat. Vas a constaté, chez l'individu adonné au tabac, une augmentation progressive des leucocytes qui coïncidait avec un amaigrissement notable; Petit (2), plus récemment, Clark (3), un abaissement du taux de l'hémoglobine, et une diminution du nombre des globules rouges. Les divers examens de sang que nous avons pratiqués chez plusieurs grands fumeurs n'ont jamais montré aucune modification de la formule normale.
(2) PETIT — Contribution à l'étude physiologique du tabac et à son action sur l'organisme. Progr. méd., 28 nov. 1903, no 48, p. 441. LE SYSTÈME NERVEUX DANS
I. ÉTUDE EXPÉRIMENTALE L'expérimentation a démontré depuis longtemps [depuis 1603] combien le tabac avait d'influence sur le système nerveux. Pour ne citer que les faits récents, Gilbert-Ballet et M. Faure (1) ont, par ce moyen, provoqué de véritables crises épileptiformes qui diffèrent suivant l'espèce animale intoxiquée; ils en décrivent ainsi deux variétés, l'une spéciale au chien, l'autre au cobaye, mais tous les intermédiaires se rencontrent entre ces deux types. [Plus, en anglais]. Quand l'animal reçoit le poison par voie souscutanée, il présente surtout une asthénie extrême; dans le quart d'heure qui suit l'injection, il reste immobile. A un degré plus élevé,
apparaît un tremblement rapide, limité à l'avant-train ou, ce qui est plus fréquent, se généralisant à tout le corps. Dans d'autres circonstances, principalement lors d'injection de tabac par voie veineuse, éclatent des convulsions.
Durant plusieurs heures, persiste à l'état latent une certaine hyperexcitabilité musculaire et il suffit d'effleurer l'animai pour réveiller immédiatement les convulsions. Ajoutons que l'intensité des contractures, le relâchement des sphincters sont, avec la dyspnée, d'un pronostic sombre. L'insufflation de fumée sous la peau de la souris donne lieu aux mêmes phénomènes. Les expériences de Gebrowsky (2), de Gouget (3), de Baylac et Amoureux (4), confirment l'action épileptisante du tabac. [Plus, en anglais]. Point intéressant à signaler, il ne semble pas y avoir à cet égard de différence marquée entre les diverses préparations: dissolution aqueuse defumée, macération, infusion. Toutefois la macération serait un peu plus brutale dans ses manifestations. Le tabac et, d'une façon générale, chaque corps qui rentre dans sa composition, la nicotine en particulier, ont une véritable élection pour le névraxe. Portant leurs effets sur les cellules de
(2) GEBROWSKY, loc. cit. (3) GOUGET, loc. cit. (4) BAYLAC et AMOUROUX, loc. cit. la zone motrice, chargées d'une certaine quantité d'influx, ils provoquent brusquement leur décharge; ce que traduisent à l'expérimentateur, les convulsions cloniques et toniques. Mais cette chute de potentiel amène secondairement, par l'intensié et par la rapidité avec laquelle elle se montre, l'épuisement passager du système nerveux, d'où les paralysies momentanées de la dernière phase. Nous inspirant des travaux de Wassermann et Takaki touchant la fixation de la toxine tétanique sur les centres, M. Guillain et nous, avons broyé une certaine quantité de cervelle de lapin sain dans une quantité double de macération de tabac caporal ordinaire à 20 %, d'une dissolution aqueuse de fumée à 20 %, d'une solution de nicotine à 2 %. Les pulpes ainsi obtenues ont été exprimées avec soin à travers un linge fin et les extraits liquides de matière cérébrale ont été ainsi injectés à plusieurs souris. Sans rapporter ici tous les détails de cette expérience, les principes toxiques contenus dans le tabac et, notamment la nicotine, ont paru se fixer sur le tissu nerveux. Au reste, ce phénomène de neutralisation d'abord mis en lumière à propos de la toxine tétanique, a été constaté depuis pour de nombreux corps et particulièrement pour quelques alcaloïdes (Melchnikoff). Ce pouvoir d'immunisation que possède la substance nerveuse varie d'ailleurs, comme l'a prouvé Claudio Fermi (1), avec l'animal d'où elle provient. Plusieurs auteurs ont tenté de déceler expérimentalement les altérations nerveuses que causait l'abus du tabac. Déjà Vas, Pandi (2) avaient trouvé que la nicotine déterminait dans le cortex quelques modifications. Vas spécialement avait relevé chez le lapin intoxiqué des anomalies dans la distribution de la chromatine et un gonflement du corps des cellules toutes lésions vues d'une manière constante dans les ganglions sympathiques. Parsons et Pandi (2) avaient noté une dégénération de certaines fibres nerveuses. Clark (3) avait attiré l'attention sur l'état congestif de la moelle et de l'encéphale des animaux soumis à l'empoisonnement tabagique. Ce sont les expériences de Viadytchko (4) qui ont bien précisé les désordres occasionnés dans
(2) Cité par GOMBAULT et PHILIPPE in CORNIL et RANVIER; Manuel d'Histologie pathologique, II, Ire éd. (3) CLARK. — Effets expérimentaux du tabac sur le système nerveux; Med. Rec., 29 juin 1907, no 36. [Plus, en anglais]. (4) VLADYTCHKO. — Altérations anatomo-pathologiques du système nerveux central et périphérique dans l'intoxication par la fumée de tabac; Vratch gaz, 10 août 1908. le névraxe par le toxique. Quelle que soit la technique suivie, qu'il s'agisse d'atmosphère de fumée, d'extrait aqueux de fumée injecté par voie veineuse, le tabac provoque dans les centres comme dans le système périphérique de grosses lésions imputables, selon l'auteur, à la nicotine; les autres substances entrant dans la composition de la fumée ont, en effet, donné lieu, entre ses mains, à des altérations analogues mais beaucoup plus discrètes. A la même époque, des recherches ont été entreprises dans cet ordre d'idées par M. Guillain et nous (1). Elles portaient sur trois cobayes et seize lapins, tous animaux soumis à l'intoxication depuis un certain temps sous forme de macération de tabac, de dissolution aqueuse de fumée (par voie veineuse, sous-cutanée ou par gavage), d'atmosphère de fumée. Parmi eux, un lapin avait subi 203 injections sous-cutanées d'un centimètre cube d'une dissolution aqueuse de fumée de tabac caporal ordinaire à 20 % en 286 jours: un autre, 187 injections en 263 jours; un autre, 161 injections de dissolution aqueuse de fumée de tabac égyptien en 263 jours; un cobaye avait reçu 148 injections d'un demi-centimètre cube de macéra-
tion à 20 % de tabac caporal ordinaire en 189 jours, etc. Tous ces animaux ont présenté des altérations de leur cortex affectant, en général, mais non toujours, toute son épaisseur. Le système vasculaire était normal; aucune lésion d'athérome, d'artérite chronique, aucun foyer hémorragique n'a été relevé, pas plus que de la méningite chronique, de la sclérose cérébrale ou une prolifération névroglique. Les altérations portent uniquement sur la cellule. La chromatolyse y a été invariablement constatée sans systématisation, tantôt centrale, périnucléaire, tantôt périphérique, tantôt disposée sous forme d'îlots, tantôt, au contraire, intéressant toute la cellule. Sur beaucoup de coupes, les dendrites apparaissent grêles, atrophiés ou manquent. En revanche, la substance achromatique est très nette et s'affirme par sa chromophilie; souvent, elle est creusée ça et là de vacuoles claires arrondies, limitées par des bords irréguliers. La situation de ces vacuoles diffère selon la cellule; tantôt elles se voient a sa périphérie, tantôt au voisinage du centre, parfois encore elles se réunissent et occupent toule la cellule. Le noyau s'est déformé et a pris un aspect tuméfié; communément, il est devenu excentrique, quelquefois presque superficiel; ou bien il est pale, de contours flous, sa membrane d'enveloppe s'est plissée et s'efface; la périphérie du noyau se fond insensiblement ainsi avec le corps de la cellule, ou bien, au contraire, il s'est coloré uniformément et d'une manière intense. Fréquemment, le nucléole est remplacé par une grosse vacuole. Jamais nous n'avons remarqué de figure de neuronophagie, de dégénération pigmentaire. Ces diverses lésions sont de constatation banale; la chromatolyse, en particulier, se rencontre habituellement au cours de certaines infections et dans les intoxications par le phosphore (Sarbo, Nissl, Rossi), les sels d'argent (Nissi, Schaffer, Marinesco), le plomb (Nissi). Seule, la vacuolisation est rare en ces circonstances; dans les expériences qu'ils poursuivirent touchant l'action de la nicotine sur l'écorce cérébrale, Vas, Pandi, ne l'ont jamais vue. D'aprés les recherches de Godscheider et Flatau (1), ces lésions ne comporteraient pas un pronostic sombre.
Par contre, la vacuolisation
du noyau, le plissement de sa membrane d'enveloppe sont plus sérieux et font redouter, a bref délai, la disparition de la cellule. L'interprétation de ces faits est encore a l'heure actuelle fort délicate. Les observations de G. Lévi—à savoir la disparition des corps chromatiques, des stichochromes spinales chez les animaux en hibernation—permettent une hypothèse: la cellule nerveuse bourrée de grains chromatiques pourrait être, en reprenant une comparaison déjà ancienne, assimilée à une bouteille de Leyde chargée. La mise en activité de la cellule amènerait une véritable décharge ayant pour conséquences la fonte des grains chromatiques, une chromatolyse passagère et cette décharge déterminée par l'arrivée du poison au cortex se traduirait cliniquement aux yeux de l'expérimentateur par les convulsions cloniques et toniques décrites plus haut. Malheureusement cette hypothèse est ruinée par les travaux de Nageotte et Ettlinger qui démontrent que la chromatolyse, la vacuolisalion et la fissuration dans le tétanos de laboratoire sont indépendantes des contractures occasionnées par la toxine. Il est probable que la suractivité fonctionnelle n'est pas commandée uniquement parles grains chromatiques; la substance achromatique joue un rôle qui nous échappe encore. Beaucoup d'individus usant du tabac éprouvent à un moment donné des troubles nerveux. Cette remarque a déjà été faite depuis de longues années et les détracteurs de l'intoxication ont même été jusqu'à lui rattacher des affections qui ne lui appartiennent manifestement pas, telle la paralysie générale nicotinique (Jolly) (1), telle encore la démence paralytique de nature tabagique (Grisolle et Blanchet, Sandras). Bourdin (2), Lefebvre, sans tenir compte des transformations profondes qu'à subies la vie moderne, des progrès de l'alcolisme, de la syphilis, etc., attribuent à l'extension du tabagisme la fréquence de plus en plus grande de l'aliénation mentale. Sans admettre ces exagérations, on ne saurait nier les méfaits du poison. Le surmenage intellectuel dont sont victimes nos contemporains les rend évidents. Les boursiers, les hommes de lettres, les politiciens, les médecins, les avocats, etc., en un mot, tous les sujets soumis à une cérébration intense recherchent, dans l'usage
(2) [Claude E.] BOURDIN. — Le tabac, 1883. de la pipe ou de la cigarette, un délassement qui, plus qu'à tout autre personne, leur est nuisible. Frankl-Hochwart (1), qui vient de publier un ouvrage consacré aux maladies nerveuses des fumeurs, insiste sur ce fait que l'homme a naturellement besoin de moyens capables d'exciter le goût, l'odorat et de procurer une douce euphorie. Poison nervin par excellence, le tabac trouve ainsi les conditions les plus favorables pour exercer sa funeste action. Les accidents qu'il est susceptible de provoquer sont de divers ordres. Schématiquement, on peut les grouper en En réalité, il est rare de voir l'intoxication se révéler par un seul symptôme et se borner par exemple à du tremblement. Aussi l'ordre indiqué ci-dessus, est-il purement artificiel et n'est-il établi que pour la commodité de la description. 1° [Troubles moteurs —] Les troubles moteurs habituels ou tabagiques consistent en du tremblement [ataxia], des vertiges et accessoirement en quelques phénomène peu communs. Le tremblement d'origine nicotinique offre avec le tremblement caféique de nombreuses ressemblances; comme ce dernier, il est assez ra
pide (7 à 8 oscillations par seconde); plus apparent au matin, il s'atténue d'abord au cours de la journée. Plus tard, à mesure que l'intoxication se poursuit, il tend à devenir permanent. Il est principalement visible dans les actes qui demandent de la délicatesse, notamment dans l'écriture; dès que la plume repose sur le papier, surtout quand le sujet commence à rédiger ou écrit sous dictée, les lettres sont tracées comme par à-coups. Ce manque d'habileté se décèle encore dans la démarche chez de grands fumeurs au lendemain d'excès de tabac, les membres inférieurs présentent une certaine hésitation à se mouvoir; les pieds sont mal assurés sur le sol. Ce symptôme que les auteurs ont qualifié un peu sévèrement d'ataxie nicotinique est, au demeurant, assez rare. [Plus, en anglais]. Plus communs sont des tressautements musculaires qui surviennent momentanément à toute heure de la journée; ils affectent plus particulièrement les muscles de l'omoplate, du dos ou de la poitrine, mais peuvent intéresser une autre région. Diverses pathogénies ont été proposées touchant ces troubles moteurs. Rosenthal admet une excitation des terminaisons intra-musculaires des nerfs moteurs secondairement paralysés, Cl. Bernard une contracture des vaisseaux musculaires. Vulpian invoque une atteinte di- recte du bulbe et de la protubérance par la nicotine. De même, Guès (1) penche pour
En réalité, certains de ces accidents relèvent d'un défaut d'irrigation locale; tel est le cas de cette hésitation dans la marche et là faut-il invoquer sûrement un spasme artériel. D'autres signes dépendent d'un trouble bulbaire probablement de même nature, c'est-à-dire d'un spasme vasculaire. Cette hypothèse est vraisemblable quand on considère les rares cas de crises épileptiformes avec pouls lent permanent et paraît évidente lors des vertiges des fumeurs dont il nous reste a parler. Déjà rencontré au cours d intoxication tabagique aiguë, où il s'associe à des sueurs froides, de l'anxiété précordiale, le vertige peut revêtir deux types; tantôt un état vertigineux prolongé, tantôt un état passager à la suite d'excès alors que le sujet est à jeun. En dehors de ces circonstances où il semble conditionné par des troubles dyspeptiques, le vertige survient plutôt chez le fumeur du matin, principalement, dit Decaisne, chez les personnes présentant de l'anorexie, des intermittences du pouls. Fréquem-
(1)
nient, il s'accompagne de céphalalgie, surtout localisée aux tempes, de dyspnée, et de prostration. La poitrine semble serrée et des sueurs froides couvrent le visage. Cet état fort pénible pour le malade a une durée variable et cesse dès que l'usage du poison est suspendu. Contrairement à Laborde qui invoque, en pareil cas, la fixation sur l'hémoglobine de l'oxyde de carbone de la fumée, il convient, avec Decaisne, de voir en cet incident un trouble d'anémie du bulbe résultant d'un spasme des artères de cette région de l'encéphale. Nous n'insisterons pas sur les phénomènes épileptiformes mis sur le compte du tabac et dont Hastings s'est fait l'écho en rapportant une observation d'épilepsie chez une jeune femme et guérie par l'interdiction du tabac. Les accès convulsifs qui sont courants lors d'un empoisonnement aigu, doivent comporler ici de sérieuses réserves quant a leur pathogénie véritable. Il est admissible que, dans le cas d'Hastings, le tabac n'agisait que comme un simple agent provocateur d'une névrose latente et ne faisait que solliciter l'éclosion d'une crise. 2° Troubles sensitifs. — De nombreux fumeurs se plaignent de douleurs; celles-ci sont de siège variable; tantôt elles se rencontrent dans l'hypochondre droit, l'épaule (Richardière) peu aiguës en général, elles entraînent plutôt de la gêne qu'une souffrance réelle. Ordinairement, le point, pour prendre l'expression du malade, persiste deux ou trois jours et disparaît comme il élait venu. Tantôt en raison de sa localisation à l'épîgastre, dans la région précordiale, cette manifestation de l'intoxication peut prêter à l'erreur et Gélineau (1), Péter (2), Liégeois (3) rattachant ce genre de précordialgie à une angine de poitrine fruste. Quelquefois encore, mais le fait est plus rare, les souffrances prendraient un caractère névralgique; telle la névralgie faciale nicotinique des anciens auteurs d'existence douteuse en réalité, car elle n'est plus signalée aujourd'hui. La céphalalgie est un des signes les plus fréquents du tabagisme: elle consiste en une lourdeur de tête qui entraîne une sorte d'ivresse, de l'incertitude dans la marche. Durant la journée, le sujet reste immobile, totalement incapable de se livrer à la moindre occupation intellectuelle. Seul, le repos de la nuit amène la disparition du symptôme. Souvent celte céphalalgie affecte les caractères d'une migraine et s'accompagne alors de vomissements (fausse migraine
(3) LIÈGEOIS. - Des causes de la nature de l'angine de poitrine (Concours Portai). Académie de médecine, Paris, 1886. tabagique de Huchard). Dans quelques cas même, se réalise au grand complet l'accès de migraine ophtalmique (Gy). 3° Troubles intellectuels. — Dans une sphère plus élevée, l'abus du tabac engendre une série de troubles plus ou moins sérieux, parmi lesquels il convient de placer surtout l'amnésie et l'aphasie nicotiniques. Néanmoins, si on considère le nombre considérable de gens usant, du tabac, ces accidents sont assez rares pour diverses raisons que Chéreau (1) a bien exposées dans sa thèse. L'aphasie est habituellement transitoire et ne consiste parfois qu'en une gêne de l'élocution, gène qui, chez beaucoup d'individus, passe inaperçue. De plus, certaines conditions qui prédisposent à ce symptôme, peuvent faire défaut; sans parler de l'hérédité névropathique, il faut insister sur le rôle favorisant que jouent une hygiène défectueuse, l'alcoolisme, une pyrexie quelconque (Brion) (2), la convalescence d'une maladie grave, les fatigues physiques et surtout intellectuelles. Les vieux auteurs semblent toutefois avoir exagéré la fréquence de l'aphasie nicotinique et, quand on relit les observations qu'ils en ont publiées, on s'aperçoit que, dans plusieurs cir-
(2) BRION. — Th. Montpellier, 1856. constances, le trouble du langage articulé s'expliquait non par le tabac, mais par de l'urémie (cas de Troussoau), par une intoxication microbienne (aphasie d'un pneumonique convalescent) ou par l'alcoolisme, etc. Ces réserves étant faites, l'aphasie tabagique se voit ordinairement chez le vieux fumeur, après avoir été, pendant untemps plus ou moins long, précédée de la perte de la mémoire. Cette variété d'amnésie porte principalement sur les substantifs, notamment les noms propres: tel ne se souvient plus du nom de l'homme avec lequel il est en relations quotidiennes. Par contre, les images visuelles sont, en général, conservées. Avec les progrès de l'intoxication, les troubles s'accusent.
Lors même que le malade cesse de fumer, la mémoire ne revient que lentement (Périgord (2), Rouillard) (3).
(2) PÉRIGORD. — De la fumée de tabac. Th. Paris, 1879. (3) ROUILLARD [Amédée]. — Les amnésies au point de vue de l'ètiologie. Th. Paris, 1885. L'aphasie tabagique éclate brusquement, à la suite d'un excès de tabac plus grand que d'habitude. Elle est purement transitoire et, en quelques heures, s'efface, après une période de bredouillement.
Très souvent, ce trouble du langage n'est pas isolé; il entraîne avec lui de l'angoisse précordiale, des vertiges, des modifications du pouls, quelquefois une hémiparésie droite. Les anciens auteurs distinguaient ainsi: Les singulières «propriétés intellectuelles» du tabac, pour reprendre une expression de M. Legrain (3), expliquent ces accidents. Le tabac est un poison de choix pour les gens travaillant beaucoup cérébralement; il apporte, dans leur manière de penser, des modifications ____________________________________ (1) CHÉRAU, loc. cit. (3) LEGRAIN. — Étude sur les poisons de l'intelligence; Annales médico-psychol., 1891, p. 30, 215, 377. plus ou moins profondes qui varient avec chaque sujet. M. Legrain voit en lui un excitant:
Rouillard (1), au contraire, regarde le tabac comme un agent sédatif du système nerveux:
(1) ROUILLARD, loc. cit. (2) XOPORKOFF. — De l'intoxication chronique par le tabac; Revue (russe) de psychiatrie, de neurol. et de path. expérim., 1903, no 4, p. 262; Anal. in Rev. Neurol., 1904, p. 74-75.
De son côté, Carnet (1) ajoute
Dans ces conditions, le patient, à moins de dépasser la quantité de tabac à laquelle il est accoutumé, n'en retire qu'une excitation toute momentanée et, en définitive, il n'éprouve qu'un sentiment de dépression, de la torpeur, de la somnolence même. On comprend, par ces effets du tabac sur le cortex, que certains littérateurs, artistes, l'aient vanté, car l'intoxication crée chez eux un élat psychique particulier, favorable à la nature de leur production, les mettant dans des conditions spéciales où leurs facultés intellectuelles sont plus ou inoins modifiées. Suivant les cas, suivant l'étendue de la nicotinisation, on verra donc se développer une série de troubles, les uns en rapport avec une sorte d'excitation cérébrale, d'autres, au contraire, caractérisés surtout par des phénomènes de dépression. L'insomnie marque le plus faible degré de
l'excitation d'ordre tabagique; elle est ordinairement partielle, ne se montre qu'après le premier sommeil pendant deux à quatre heures et fait place a un sommeil agité. Selon Brodie, Bougon, Galtié (1), l'action excitante du poison pourrait même exister à l'état de veille et donner lieu à du delirium tremens nicotinique (Brodie*), à des hallucinations visuelles. Il importe de n'accepter ces observations, au reste exceptionnelles, qu'avec les plus grandes réserves; vraisemblablement, l'alcoolisme n'était pas sans jouer un certain rôle dans ces faits qu'on ne relate plus aujourd'hui. Chez d'autres individus, ce sont les phénomènes de dépression qui dominent la scène; le cortex est accoutumé au toxique et le réclame comme étant d'une nécessité absolue. Le sujet est ainsi amené fatalement à augmenter la dose de poison à mesure que l'action de celui-ci s'épuise. Bien loin d'être stimulés, les centres intellectuels sont alors de plus en plus fatigués et, pour vaincre cette asthénie psychique, le fumeur est enfermé dans un cercle vicieux: d'aggraver son sort en cherchant à y remédier. Tout en rejetant la possibilité d'hébétude, de stupidité, ainsi que le veulent Grisolle, Blanchet
et Sandras, il est indéniable que le tabac apparaît à la longue comme un grand poison des facultés psychiques. L'intelligence, autrefois vive et brillante, perd de son éclat; l'association des idées, jadis rapide, s'exécute beaucoup plus lentement et le travail mental, qui était aisé, devient pénible. Cet engourdissement cérébral se marque encore par la diminution du pouvoir d'attention; la volonté de l'individu a fait place chez lui à l'aboulie, à la résignation, à une sorte de fatalisme, de désintéressement pour tout ce qui l'intéressait naguère. Le sujet constate bien cette déchéance, mais parce que le tabac est essentiellement un poison de la volonté, il ne peut se soustraire à l'intoxication. L'apathie conduit l'esprit à la mélancolie, à la rêverie qui n'est pas sans plaire au fumeur (M. de Fleury). Chez les prédisposés naîtra, dans ces conditions, une névrose: l'hystérie (cas de Gilbert (1), peut-être de la chorée, si l'on admet les observations de Galtié (2), beaucoup plus souvent, la neurasthénie, par cela même que le tabac détruit toute énergie. Les recherches que Bertillon, Dore, Goubert et Coustan ont faites sur plusieurs promotions de l'École polytechnique, de l'École Navale et de
(2) GALTIÉ, loc. cit. l'École des Ponts et Chaussées, démontrent quasi expérimentalement la fâcheuse influence du tabac sur l'intelligence. Dans les classements de un d'année, les élèves les mieux placés par rang de mérite étaient tous non-fumeurs ou du moins fumaient peu. Decaisne (1) s'est livré aux mêmes constatations chez les enfants. Plus récemment, Mulhall (2) a observé que le tabac avait d'autant plus de nocivité qu'on en usait a un âge plus tendre; lorsque la puberté s'établit, il peut, d'après cet auteur, modifier profondément le psychisme. Doit-on aller jusqu'à soutenir l'existence de psychoses provoquées uniquement par le tabac? Le fait est douteux. Kraft-Ebing rapporte un cas de démence paralytique de ce genre, en réalité nullement démonstratif. Kjellberg a tracé la description d'une folie nicotinique qui, selon lui, serait très commune dans le Nord de l'Europe. Pendant une première période qui s'étend de deux à quatre semaines, l'individu éprouverait un malaise général; ressentant de l'angoisse précordiale, il se déprimerait et cesserait toute occupation. A ce moment surviendraient des hallucinations visuelles, auditives et tactiles et des idées bizarres. Dans une deuxième phase, le psychisme semblerait
s'améliorer ainsi que le démontrent la gaîté, les chants et le retour des idées plus nombreuses, mais les hallucinations persisteraient et, de temps en temps, le caractère redeviendrait sombre. Enfin, dans une troisième période, le patient demeurerait calme mais très impressionnable; son regard aurait perdu toute expression; néanmoins le malade continuerait à prendre quelque intérêt à ce qui l'entoure. La guérison possible dans les deux premiers stades, ne se verrait jamais dans la troisième phase. Buccelli (1), de son côté, s'oppose fermement à l'introduction du tabac dans les asiles d'aliénés et relate un cas de psychose polynévritique qui lui serait imputable. Ces faits sont, à notre avis, entachés d'exagération; sans nul doute, le tabac, vu son influence sur les centres intellectuels, prédispose à l'éclosion d'une psychose, mais, à lui seul, il ne saurait la faire naître. En terminant ce chapitre, il importe dé dire quelques mots des troubles qui éclatent parfois lors de la cessation brutale du tabac. Ces accidents ont déjà été signalés chez l'animal.
Clark (1) a noté qu'après la suppression brusque des injections,
Cette observation corrobora les faits exposés plus haut. Dès que le fumeur est privé de son excitant habituel, il ressent un malaise indéfinissable et divers phénomènes morbides qu'ont rapportés Venturin, Potain (2), Buccelli et surtout Maurice de Fleury. Dans une communication récente à la Practitionner's Society of New-York, Bolton Bangs (3), dit avoir remarqué des incidents graves que la suppression brusque du tabac, après une opération, entraîna chez des malades et dans la discussion qui s'ensuivit, Peabody, Alexander, Janeway citèrent des cas analogues. Dans ces circonstances, en effet, la cessation inopinée de l'empoisonnement ne peut que favoriser le collapsus chez un patient déjà déprimé tant par l'intervention chirurgicale que par l'intoxication antécédente. Si quelques individus peuvent du jour au lendemain, renoncer au
(2) POTAIN. — De l'empoisonnement par le tabac. Sem. méd., 6 mai 1885. (3) Bolton BANGS. — Same observations on the effects of tobacco in surgical practice. Med. Rec., 14 mars 1908, p. 421. tabac, habituellement les sujets qui s'abstiennent brusquement de fumer, se plaignent d'un malaise général; ils sont tristes, somnolents et pourraient même tomber, d'après Stuggoki, dans une prostration profonde et dans le délire. [Plus, en anglais]. D'autres accusent des troubles cardiaques momentanés qui ne sont pas sans être inquiétants de prime abord. Ces incidents ne sont pas, au reste, spéciaux au tabagisme; les suites de la démorphinisation en sont la preuve. Quelle que soit la nature du stimulant intellectuel, l'organisme s'y est adapté et le réclame; la suppression brusque du poison provoque aussitôt diverses réactions qui témoignent des modifications que subit alors l'économie. LES ORGANES DES SENS DANS
Les troubles olfactifs et gustatifs du fumeur ne retiendront pas notre attention. Si l'anosmie est de règle chez le priseur, par contre, le tabac n'a guère d'action sur le goût. Les effets du poison sont également nuls sur la peau. En dehors des cas très rares aujourd'hui où le produit a été utilisé comme révulsif, les accidents observés et qui consistent en un érythème ou un eczéma localisé aux organes génitaux surviennent uniquement chez les ouvrières des manufactures de l'Etat (Pla) (1). En revanche, les modifications de la vision et de l'audition sont plus intéressantes parce que plus communes et demandent qu'on y insiste.
L'influence du tabac sur la vision a été jadis très contestée par Cusco, Hubsch et, dans ces dernières années, de nombreuses discussions se sont encore engagées à ce sujet. Alors que Hutchinson, Berry, Nettleship (1), Hirschberg (2) affirmaient l'existence d'une amblyopie tabagique, d'autres oculistes, considérant l'extension qu'a pris l'éthylisme et la nocivité bien connue de l'alcool pour la vue, regardaient la prétendue amblyopie labagique comme étant, en réalité, de nature alcoolique. Dans la pratique courante, les deux poisons sont, le plus souvent, associés, mais chacun d'eux est susceptible à lui seul de donner lieu à des troubles visuels. Lors d'une discussion à la Société de médecine publique (3), Galezowski a noté que sur 158 sujets, 21 seulement présentaient de l'amblyopie tabagique pure. Dans une autre circonstance,
(1) HIRSCHBERG. — Des amblyopies dues à l'alcool et au tabac. Soc. méd. psychol., de Berlin, 4 mars 1878; Berl. Klin. Woch., 3 janvier 1879, no 3. (3) Revue d'hyg. et de pol. sanit., nov. et déc. 1883. le mème auteur a relevé 151 cas d'amblyopie mixte alcoolo-tabagique. Fieuzal, qui se range à cette opinion, déclare que, sur 45 986 individus soignés à la clinique des Quinze-Vingts en l'espace de onze ans, il n'a constaté que 104 amblyopies nicotiniques. Sans parler ici des troubles oculaires momentanés qu'occasionne chez l'animal l'intoxicalion aiguë par le tabac (protrusion des globes, mydriase consécutive à un myosis passager), depuis longtemps en Australie et en Virginie, plusieurs auteurs avaient vu survenir la cécité chez des chevaux dont la nourriture contenait des graines de nicotiana tabacum. Ce phénomène morbide dépendrait, semble-t-il, de l'espèce animale en cause, car les daims, les bestiaux, les moutons se sont montrés réfractaires à l'empoisonnement et, chez eux, les accidents visuels seraient exceptionnels (Clark) (1). Au cours de leurs recherches, Walicka, Parsons et Pandi, étudiant les lésions oculaires déterminées par l'intoxication chez leurs lapins, ont décelé une dégénération des fibres du nerf optique. Langley et Andersen (2), en instillant de la
(2) LANGLEY et ANDERSON. — The action of nicotin on the ciliary ganglion and on the endings of the third cranial nerve. Journ. of Physiol., 1892, XIII, p. 460. nicotine diluée dans les yeux d'un lapin, ont conclu:
Cliniquement, l'amblyopie nicotinique se montre surtout chez les fumeurs, principalement chez les fumeurs de cigares; elle est rare chez les priseurs et les chiqueurs, exceptionnelle chez les ouvriers des manufactures de l'État. Jouent un rôle dans son éclosion: le séjour permanent dans une pièce enfumée, les privations, l'état de convalescence, la coexistence de troubles digestifs, enfin un terrain névropathique. L'affection presque spéciale à l'homme apparaît, en général, entre quarante et cinquante ans et toujours chez l'hypermétrope (de Lapersonne (1),
Terson (1) en raison de la fatigue et de l'hyperemie papillaire et rétinienneque cette disposition anatomique de l'œil entraîne. Durant plusieurs mois, le patient ressent des douleurs névralgiformes dans la région orbitaire, éprouve l'impression de brouillard ou de sphères brillantes, de mouches volantes, qui passent devant ses yeux. Après un certain temps, se montrent trois signes révélateurs de l'amblyopie, l'éblouissement, l'asthénopie rétinienne et des troubles dans la perception des couleurs. L'éblouissement ou nycalopie est assez rare chez le fumeur. L'amélioration de la vue lors d'une lumière faible explique pourquoi l'homme adonné au tabac reconnaît mieux les objets le matin au réveil et le soir à l'heure du crépuscule; il souffre d'un éclairage intense et, ainsi que Terrien (2) le signale, les variétés d'amblyopie toxique à début brusque et à marche rapide, ont été fréquemment précédées d'un éblouissement très marqué. L'asthénopie rétinienne a pour caractère ce fait que la vision rapprochée d'un objet n'est
(1) TERRIEN. — Troubles visuels dus à l'abus de l'alcool et du tabac. Paris, 1908, Bailliére et fils, éd. plus nette; entre l'œil et le dit objet, un livre par exemple, s'interpose une sorte de voile et le trouble augmente si l'individu tente de poursuivre sa lecture. Plus rarement, à ce type d'asthénopie s'ajoute de l'asthénopie accommodative; à cette période, la vision lointaine seule est intacte. Habituellement, le sens des couleurs est perverti (dyschromatopsie). Sur la rétine persiste l'image colorée d'un objet et le sujet en perçoit la couleur complémentaire. Il en résulte, dans la vie courante, de grossières erreurs, des pièces d'or données pour des pièces d'argent, l'impossibilité pour le marin, le mécanicien de chemins de fer, de distinguer un feu vort d'un feu rouge. A l'examen du champ visuel, on constate la présence d'un scotome central ou paracentral, pathognomonique de l'amblyopie toxique. Ce scotome se montre d'abord pour le vert, puis pour le rouge, enfin, pour le bleu et le jaune; en dernier lieu, quand le blanc n'est plus perçu, le scotome est dit absolu. Il a communément la forme d'un ovale à grand axe transversal mais il peut être arrondi ou vertical (cas rare); quelquefois sa configuration est irrégulière au point qu'elle échappe à toute description. Plusieurs opthalmologistes ont essayé de différencier le scotome nicotînique du scotome alcoolique; l'un serait paracentral, l'autre péri- central; le premier aurait plutôt une disposition verticale, le second une disposition transversale. En fait, toutes ces distinctions sont artificielles. Quelle que soit l'origine de l'amblyopie toxique, le scotome possède sensiblement les mêmes caractères; souvent, ainsi que le dit Terrien (1), chez un sujet, il sera transversal pour un œil, vertical pour l'autre. Le scotome absolu ou relatif n'est reconnu que par l'oculiste; il est toujours bilatéral et affecte au même degré les deux yeux, point de grande importance diagnostique. En revanche, le champ visuel n'est pas intéressé et peut être considéré comme normal dans le tabagisme.
L'acuité visuelle diminue assez vite mais non parallèlement à l'étendue du scotome. Il est impossible au malade de lire les enseignes, les noms des rues et, en plein soleil, il demeure immobilisé sur les places publiques, incapable de se diriger, livré au danger d'être écrasé par une voiture. Dès que l'usage du tabac cesse, ia vue revient rapidement; toutefois le plus léger
(2) FOULARD. — Amblyopie toxique par l'alcool et par le tabac. Progr. méd., 1903, p. 115. retour aux anciennes habitudes provoque aussitôt une nouvelle baisse de l'acuité visuelle. L'examen du fond d'ceil permet de reconnaître une décoloration partielle de la papille occupant sa partie temporale; les vaisseaux sont intacts; quelquefois, rarement il est vrai, la papille au lieu d'être anémiée est un peu hypérémiée. Nous n'insisterons pas sur l'état des pupilles chez les fumeurs. Contrairement à Rodiet et à Cans (1), qui ont chez eux remarqué la fréquence du myosis, beaucoup de personnes usant du tabac immodérément offrent plutôt une légère mydriase. Les paralysies oculaires d'origine nicotinique ne retiendront pas notre attention; malgré le cas de diplopie par paralysie du moteur oculaire externe observé par Guillery et attribué par cet auteur au tabac, elles sont exceptionnelles. La nature de l'amblyopie tabagique a fait l'objet de plusieurs travaux. Anciennement [1878], Nettleship (2) avait simplement signalé qu'il n'y avait pas, en pareille circonstance, de lésions
(1) NETTLESHIP, loc. cit. centrales mais seulement des modifications de la portion orbitaire des nerfs optiques. Uhthoff, plus récemment, Birsh-Hirschfeld, ont reconnu l'existence d'une atrophie de la seconde paire et plus spécialement du faisceau maculo-papillaire. Selon Birsh-Hirschfeld, les fibres du nerf optique seraient primitivement intéressées; les cellules ganglionnaires ressentent les effets de l'intoxication avant ou, dans tous les cas, en même temps que la fibre nerveuse qui n'est que leur expansion. Popow, (1), Modestoff (2), ayant examiné la rétine, ont remarqué, dans les couches rentrant dans sa constitution, la présence d'œdème dû à la transsudation du sérum à travers les vaisseaux lésés. Cet œdème amènerait mécaniquement, parla compression qu'il exercerait, de la dégénérescence granuleuse des cellules. Jamais il n'a été donné à Popow de retrouver la chule de l'épitholium pigmentaire de la rétine alors que Modestoff en fait la caractéristique de l'amblyopie tabagique. Les déterminations oculaires du nicotinisme chronique comportent, par elles-mêmes, un pronostic bénin. Habituellement, la suppression du
(2) MODESTOFF. — Sur les lésions de la rétine dans le nicotinisme chronique. Th. Saint-Pétersbourg, 1896; anal. in Revue Hayem, 1897, I, p. 295. tabac entraîne assez vite la guérison, parfois en quelques semaines ou même en quelques jours (scotome fugace), plus souvent, en quelques mois (forme chronique). Toutefois des réserves sont à faire quand l'opthalmologiste constate le rétrécissement du champ visuel, une diminution notable de l'acuité et la présence d'un scotome absolu et très étendu, surtout quand les lésions datent de six mois. Néanmoins, la cécité n'est jamais totale, l'atrophie papillaire demeure incomplète. Les vieux médecins avaient jadis signalé l'existence d'une otite secondaire à la pharyngite granuleuse du fumeur par catarrhe de la trompe d'Eustache. Triquet parle d'une surdité provoquée directement par l'altération de là huitième paire. Les recherches contemporaines d'Alt (1), de Delie, d'Ypres (2), de Souleyre (3), sont ve-
(2) DELIE. — Tabac et audition. VIIe Congr. internat. d'otologie tenu à Bordeaux du Ier au 4 août 1904; Archiv. internat, de laryng. d'otol. et de rhin., 7 oct. 1904, no 5, p. 617; Bull. de laryng. et d'otol., 30 déc. 1904. (3) SOULEYRE. — Les états sclèreux oliques dans leurs rapports avec l'artério-sclérose. Pr. Méd., 27 juillet, 1907, no 60. nues préciser la nature des troubles auditifs ressentis. Cliniquement, l'influence du tabac sur l'ouïe se manifeste par l'apparition relativement rapide ou l'aggravation d'une surdité avec bourdonnements de modes divers. Les vertiges plutôt tardifs sont plus on moins fréquents selon les individus et ne persistent guère. L'examen objectif, dans les cas observés par Délie, par Alt, ne put donner de renseignements. Les épreuves du diapason indiquaient avec le Rinne positif une altération de l'oreille interne. Comme dans les autres névrites toxiques, les deux oreilles sont frappées simultanément et les accidents suivent une marche progressive et continue. Ajoutons enfin que cette affection se voit assez souvent chez l'adolescent, surtout quand l'audition a déjà été touchée. On doit donc défendre l'usage du tabac spécialement à tout individu souffrant de l'oreille, plus particulièrement encore aux personnes en puissance de sclérose ou qui y sont prédisposées par leur hérédité. Par contre, malgré des enquêtes minutieuses, Mancioli (1) n'a jamais découvert de né-
vrite acoustique chez les ouvrières des Manufactures de l'Étal Italien. La pathogénie de ces troubles est encore mal élucidée; d'après Délie, d'Ypres, l'action de la nicotine se traduit toujours par une excitation du grand sympathique; l'irritation de ce nerf vaso-constricteur entraîne l'anémie des rameaux terminaux de l'auditif, renfermés dans une coque osseuse où les échanges circulatoires rencontrent de mauvaises conditions d'équilibre. Cette influence s'exercerait principalement sur les cellules et fibres nerveuses de la branche cochléaire ou du limaçon. Mais il faut tenir compte également du rôle direct du tabac sur la vascularisation. Par ses propriétés mêmes, il amène un défaut de nutrition des parties et crée une véritable trophonévrose, laquelle a pour conséquence une névrite atrophique du nerf auditif (Souleyre).(1)
L'ÉTAT GÉNÉRAL DANS LE
I. L'ÉTAT GÉNÉRAL En dehors des modifications qu'elle apporte au fonctionnement des divers appareils, l'intoxication tabagique retentit plus ou moins sur l'élat général comme le prouve l'expérimentation. Cette influence du tabac n'est, au reste, pas spéciale à l'animal. Varigny et Roger (1) ont démontré qu'un certain nombre d'alcaloïdes n'étaient pas sans effet sur la croissance des plantes; une solution de nicotine à 2 % suffit pour compromettre le développement du cresson alénois. It en est de ê dans le monde animal. Richon et Perrin (2) ont fait subir des injections
(2) RICHON et PERRIN. — Retards de développement par intoxication tabagique expérimentale, possibilité de la reprise de croissance après cessation de l'intoxicication. Réun. bioi. de Nancy, 9 mars 1903. de tabac à deux lapins pris dans une série de six lapins issus d'une même portée. Par la suite, ces deux lapins présentèrent une baisse de poids notable; leur taille resta stationnaire, contrairement aux témoins. Dès que les injections furent suspendues, le poids et la taille des deux lapins augmentèrent rapidement. Fleig (1) a fait des constatations analogues. M. Guillain et nous (2), avons signalé avec quelle fréquence les femelles des cobayes intoxiquées produisaient des mort-nés. Dans les cas où les petits naissent vivants, leur poids, ainsi que l'a vu Fleig, est au-dessous de la normale. L'accroissement quotidien est, pour prendre les chiffres de cet auteur, de 2gr,7 à 4 grammes, au lieu de 5gr,8 pour un cobaye. Dès que l'animal atteint un à deux mois, il n'est pas rare qu'il succombe.
L'examen comparatif des courbes de poids de nos animaux adultes plaide dans le même sens.
(2) GUILLAIN et GY. — Recherches expérimentales sur l'influence de l'intoxication taBagique sur la gestation. C. R. Soc. Biol., 6 déc. 1907. Déjà Vas avait attiré l'attention sur l'amaigrissement que détermine expérimentalement l'empoisonnement tabagique. Un travail de Favarger (1) appuie cette thèse: des chiens reçurent une nourriture arrosée d'une solulion aqueuse de nicotine; le premier chien qui, au début, pesait 6 900 grammes, moins d'un mois après, eîait tombé à 3 760 grammes. Un second chien, primitivement du poids de 4 450 grammes, mourait vingt-deux mois après, ayant maigri de 1 513 grammes, accusant ainsi une perte de poids de 34 %. Les faits rapportés par Richon et Perrin, par Fleig et par Gebrowsky (2) prêtent aux mêmes conclusions; un des lapins de Gebrowsky, livré à des inhalations de fumée de tabac, maigrit en seize jours de 46,9 % de son poids. Seul, Gouget (3) n'a observé chez ses animaux aucun amaigrissement. M. Guillain et nous avons pu préciser un peu dans quelles conditions survenait cette perte de poids. Lors du tabagisme aigu, l'amaigrissement est constant et rapide, mais tous les animaux n'en souffrent pas au même degré et sans doute intervient ici le mode selon lequel le poison est introduit dans l'organisme.
Esser, en effet, alimentant deux lapins avec des salades arrosées d'une solution aqueuse de nicotine, provoqua chez eux une baisse de poids de 3 200 grammes à 1 750 grammes. En revanche, deux autres lapins soumis à des injections sous-cutanées de la même solution, bien loin de maigrir, augmentèrent de poids, l'un de 1 340 grammes monta à 1 800 grammes, l'autre de 1 420 grammes à 1 880 grammes. Très vraisemblablement, l'âge, la race ne sont pas sans jouer aussi un rôle. En tout cas, l'amaigrissement qui persiste chez le lapereau et chez le jeune cobaye cesse après quelque temps chez l'animal adulte. Le poids qui, chez ce dernier, baisse au début de la mise en expérience se relève à la longue par une sorte d'accoutumance. Pour Edmunds (1) qui vient de publier le résultat de ses recherches à ce sujet, cette accoutumance dépend de la quantité de toxique administrée à la fois. Quand le poison est donné à petites doses, elle ne serait réalisée qu'avec beaucoup de difficulté; l'emploi de fortes doses déterminerait très rapidement une résistance aux effets de la nicotine ou du tabac. Quand l'animal est rendu réfractaire par ce procédé, il présente une égale tolérance à l'égard de l'alcaloïde
du tabac des Indes, la lobétine. Toutefois, chez les chiens, on ne peut faire naître qu'une très légère accoutumance vis-à-vis de cette dernière substance, qu'on ait recours à la méthode des petites injections rapides ou à celle des grandes injections. En clinique, le retentissement de l'intoxication tabagique sur l'état général ne semble pas moins évident. Déjà plusieurs médecins des manufactures de l'Etat avaient noté la débilité congénitale dont étaient atteints les enfants des ouvrières de ces établissements. Les observations de Decaisne (1) prouvent quel retard l'empoisonnement apporte au développement. Sur 38 enfants qui fumaient, cet auteur a constaté des symptômes d'intolérance chez 27 dont 8 n'étaient âgés que de neuf à douze ans. Onze d'enire eux usaient du tabac depuis six mois à un an; les autres, depuis plus de deux ans. Les 11 enfants qui restaient des 38 enfants souffraient de chloro-anémie, étaient paresseux, apathiques et avaient une certaine tendance à se livrer à l'alcoolisme; 13 offraient des intermittences du pouls; 4 enfin avaient des aphtes et autres ulcérations buccales. Comme le disait Mulhall (2), et tout récem-
ment, Frankl Hochwart, à cette période de la vie, les meilleures conditions de l'intoxication sont réunies et une quantité de tabac donnée provoquera chez l'adolescent des réactions beaucoup plus vives que chez l'adulte. Chez ce dernier, l'abus du poison a souvent pour conséquence un amaigrissement dont l'origine échappe encore; peut-être est-il dû à un ralentissement général de tous les échanges, ou plus simplement est-il commandé par des troubles gastriques, vu l'anorexie que l'usage du tabac détermine communément. Depuis longtemps, on croit que le tabac jouit par lui-même de propriétés anti-infectieuses. Déjà Robin, au milieu du siècle dernier, se faisait l'écho de cette opinion en montrant qu'un cadavre imprégné de nicotine offre un certain degré de résistance aux agents de la putréfaction, ce que confirmèrent Bordier (1), et plus tard Melsens, Stas. En 1889, Bourrier (2), étudiant de nouveau cette question, insista, au contraire, sur les dangers qui peuvent résulter du tabac considéré
(2) BOURRIER. — Des effets de la fumée de tabac sur les viandes de boucherie. Rev. d'hyg., nov. 1889, XI, p. 978. comme antiseptique. «La fumée de tabac, déclare-t-il, est susceptible de donner une grande nocivité à la viande fraîche ou cuite en déposant sur elle une partie des éléments toxiques qu'elle renferme; les aliments préparés dans les boutiques ou dans les laboratoires où règne une atmosphère plus au moins saturée de fumée de tabac peuvent être nuisibles à la santé du corps». Sans doute, cette hypothèse était-elle vraisemblable, mais il ne s'ensuit nullement que la fumée de tabac n'ait pas une action microbicide. Trillat (1) a démontré que la combustion de certaines substances comme le sucre, les racines de betteraves, les baies de genièvre, le benjoin, donnait naissance à de l'aldéhyde formique dans des proportions considérables qui s'élèvent en chiffres ronds de 2 à 5 gr. %. Plusieurs fumées contiennent de l'acétone, de l'alcool éthylique et méthylique, des dérivés phénoliques, de l'acide acétique, tous corps qui ajoutent leur pouvoir antiseptique personnel à la puissance propre de l'aldéhyde formique. Il suffit d'exposer sous cloche des cultures de bacilles anthracis, de vibrion cholérique, de bacterium
Id. - Sur les propriétés antiseptiques de certaines fumées et sur leur utilisation. C. R. Soc. Biol., 18 mars 1905, p. 509 et Acad. Sciences, 20 mars 1903. coli, de bacille d'Eberth, enfin de bacille de Koch, à la fumée de 2 grammes de sucre pour les voir périr en 3o minutes. Ce temps doit être étendu à une heure pour le staphylocoque doré et à quatre heures et demie pour le bacillis subtilis. La fumée de tabac contenant de l'aldéhyde formique doit a priori avoir des propriétés microbicides. Or, Trillat a observé que 10 grammes de scaferlati (cigarettes) produisaient 0gr,0 585% de formaldéhyde; un cigare dit londrès donnait 0gr1,180% de formaldéhyde; 25 grammes de Maryland (pipe en bois) 0gr,1 028% de formaldéhyde; 25 grammes de scaferlati (pipe en terre) 0gr,0 921% de formaldéhyde. D'après le même auteur, l'aldéhyde formique n'existerait pas dans la fumée de tabac à l'état libre, mais sous forme de combinaison avec la nicotine. A la suite de ces travaux, Wernicke (1) prit des cigares de quatre espèces (Havane, Sumatra, Brésilien, Seed-leaf) dont il mouilla les feuilles avec une eau chargée de vibrions cholériques; en outre, il déposa au centre des cigares un morceau de toile imprégné d'une culture du même microbe sur bouillon; finalement, il confecfectionna leur robe avec les mains encore humides
(pp 152-161)
LA QUESTION DES TABACS
Beaucoup de médecins se sont efforcés de prévenir les accidents que cause le tabac en le débarrassant de ses produits toxiques. Nombreux ont été les procédés utilisés à cet effet; le plus ancien consiste dans l'habitude du fume-cigares ou de la pipe à long tuyau; non moins vieille est l'idée d'interposer sur le trajet de la fumée un corps poreux comme la porcelaine où la nicotine et les différents corps empyreurnatiques se déposent. Dans les pays d'Orient, on fait barboter la fumée dans une eau parfumée où elle abandonne plusieurs de ses poisons (narghileh) Tous ces procédés sont assez grossiers Glazé (1), le premier, essaya de retenir la nicotine en filtrant la fumée à travers un coton imbibé d'une solution de tanin; une petite ____________________________________
quantité d'ouate ainsi imprégnée, placée dans le tuyau de la pipe ou dans le fume-cigarettes, remplissait cet office. Dans des recherches très minutieuses, Thomas (1) après Sontag, tenta de fixer sur une substance filamenteuse absorbante les divers produits empyreumatiques de la fumée de tabac. Il soumit ainsi tour à tour la fumée à de l'amiante, à du charbon de bois imprégnés d'acide sulfurique, phosphorique, citrique, salicylique, tartrique. Les résultats obtenus sont peu satisfaisants et cette pratique comporterait même quelquefois du danger par les nouveaux corps mis en liberté. De plus, dans ces conditions, le fumeur accuserait, une sécheresse de la gorge fort pénible. En revanche, l'auteur dit avoir retiré un certain avantage de l'usage d'une substance filamenteuse imprégnée de sels de fer; la fumée, après avoir passé sur cette substance serait beaucoup moins nocive; l'acide cyanhydrique, en particulier, la moitié de la nicotine et ses produits de décomposition, dont l'ammoniaque, seraient fixés par les sels de fer. M. Rénon (2) recommande vivement cette méthode de désintoxication.
(2) RÉNON. — Conférences pratiques sur les maladies du cœur et des poumons, p. 147. (pp 164-175) poursuivies durant plusieurs mois, nous permettent de penser, contrairement à Vitoux (1), que les tabacs dits dénicotinisés comportent encore un certain degré de nocivité. On doit proscrire leur usage d'une façon absolue aux cardiaques, aux hépatiques, aux gastropathes et aux nerveux. Si l'individu se refuse à ne plus fumer, tout au plus pourra-t-on l'engager, faute de mieux, à employer les produits dénicotinisés. Leur toxicité étant quelque peu atténuée par les manipulations diverses qu'ils subissent au cours de leur fabrication, leurs effels seront moindres. Ainsi s'expliquent vraisemblablement les cas signalés par Hirtz (2), de sujets souffrant naguère d'angine de poitrine, de migraine ophtalmique et ayant vu leurs accès disparaître après substitution d'un tabac dénicotinisé au scaferlati.
(2) Bull et Mém. Soc. méd. Hop. Paris, 25 juin 1908, p. 967. CONCLUSIONS.
L'HYGIÈNE DU FUMEUR Tous les auteurs qui ont étudié expérimentalement et chimiquement l'action du tabac sur l'organisme reconnaissent à ce produit un certain degré de nocivité qui varie selon la quantité dont on use. A hautes doses, la toxicité du tabac (qui ne dépend pas uniquement de la nicotine, mais aussi de tous les corps entrant dans la composition de la fumée) est des plus grandes. Les dangers imputables à l'intoxication chronique passent dans beaucoup de cas inaperçus, mais si le sujet fume depuis quelque temps et d'une manière exagérée, de nombreux accidents sont susceptibles de survenir. Citons les relations étroites qui unissent le tabac à la leucoplasie buccale, peut être pour les uns, toujours pour les autres, a la syphilis et souvent, au cancer de la langue. Les dyspepsies, les désordres intestinaux et surtout les lésions hépatiques constantes chez le lapin et le cobaye, moins appréciables chez l'homme. Si les troubles constatés dans la sphère génitale, évidents chez l'animal, prêtent encore à des discussions en ce qui concerne l'homme et si l'intoxication semble n'avoir que peu d'influence sur le rein, par contre, les manifestations laryngées et pulmonaires sont fréquentes. Rappelons les crises d'angine de poitrine avec leurs diverses modalités, les troubles du rythme cardiaque, la claudication intermittente, l'hypertension, tous symptômes qui contribuent à la genèse de l'artériosclérose. Signalons les modifications profondes que le tabac entraîne dans le psychisme de l'individu ce dont témoigne l'élude histologique du cortex des lapins et des cobayes soumis à l'action lente et continue du poison. Remarquons enfin, tant dans le domaine de l'expérimentation qu'en clinique, les altérations de l'audition et de la vision et l'atteinte portée à l'état général. Si l'habitude de fumer comporte, pour l'organisme, des inconvénients multiples, plusieurs auteurs ont attribué au tabac des propriétés microbicides. Cette action, en réalité, dépend essentiellement de l'espèce microbienne en cause: nulle vis-a-vis du pneumobacille de Friedlander ou du bacille de Klebs-Lœffler, elle se montre plus grande à l'égard du streptocoque et du staphylocoque. Au reste, cette heureuse influence, surtout mise en évidence quand on se sert de la fumée de tabac, ne lui est pas spéciale; la combustion d'un végétal quelconque donne aussi naissance à des substances antimicrobiennes. Frappés des dangers du tabac, beaucoup de chimistes se sont efforcés de retirer de la plante ses principes nuisibles et notamment la nicotine. En fait, l'innocuité de ces tabacs ainsi modifiés semble plus apparente que réelle; expérimentalement, ils déterminent des lésions à peu près analogues à celles observées chez l'animal après intoxication par un tabac complet. Toutefois, comme le disait déjà Lagneau (1) il y a trente ans, le tabac, à la condition d'être consommé d'une manière très modérée, n'a pas pour l'économie de sérieux inconvénients. Dans le but de les éviter complètement, il sera recommandé de ne pas fumer dans une chambre mais plutôt au grand air. Bien que les tabacs dénicotinisés nous aient paru encore nocifs, on les utilisera de préférence aux produits complets. En revanche, tout sujet qui se plaindra de pal-
pitations, les cardiaques, les individus souffrants d'une maladie de poitrine (les tuberculeux, en particulier), les dyspeptiques et les névropathes, devront rigoureusement renoncer au tabac. Pour remédier à cette privation fort pénible, des industriels ont essayé de substituer au tabac des feuilles de menthe, de houblon, d'eucalyptus, de caféier, de sauge officinale et ont inventé, pour les priseurs, des poudres à base de camphre et de menthol. Malheureusement, ces tentatives on tété vaines; ordinairement l'homme, après quelques jours, revient à ses anciennes habitudes. Le tabac est, en effet, comme on l'a vu plus haut, un poison de la volonté. D'autres auteurs ont voulu dégoûter le fumeur de tabac. Kolometzev (1) le fait gargariser chaque matin avec une solution faible nitrate d'argent à 0,25 %; Bardet (2) préconise, dans le même but, une solution de nitrite de soude à 0,50 °/o, Skoulski touche plusieurs fois par jour la gorge du sujet avec un pinceau trempé dans une solution de nitrate d'argent à 5 %. Ces pratiques ne modifient nullement le goût et, dès que la muqueuse ainsi imprégnée entre au contact de la fumée de tabac, l'individu éprouve une telle
(2) BARDET. — Répertoire de pharmacie, avril 1902. amertume qu'il ne peut continuer sa cigarette. Ce procédé est excellent à la condition que le fumeur s'y astreigne; or, dans l'immense majorité des cas, il n'en est rien ; l'homme délaisse bientôt sa solution pour se remettre au tabac. Quand la cessation de l'intoxication s'impose, le sujet doit. renoncer brusquement à ses habitudes; une surveillance discrète pour prévenir une défaillance, et l'emploi de quelques excitants nervins, tels que la caféine, pour combattre l'asthénie psychique et physique suffiront, en général, mais une rechute est toujours à craindre au moins durant un certain temps.
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Le Tabagisme, Étude Expérimentale et Clinique (Paris: G. Steinheil, 1909) |
par Le Dr Hippolyte Depierris: Physiologie Sociale: Le Tabac |
Les Accidents d'Origine Tabagique
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